Dites Aaaaaaaaaaa

Non, le Musée de l'imprimerie ne s'est pas reconverti dans l'imagerie médicale. Il fait place, pour la première fois en France, à Eduard Ovčáček, artiste pour qui la lettre "A" a été un moyen d'expression subversif pendant les heures (rouges) sombres du communisme, à l'est du Rideau de fer. Nadja Pobel


Né en 1933, Eduard Ovčáček aura longtemps été un homme entravé dans une Tchécoslovaquie en proie au communisme post-stalinien, avant de retrouver dans les années 90 un poste d'enseignant de techniques de l'estampe à Ostrava et les faveurs du public. Depuis la fin des années 50, il livre un travail qui tourne autour du signe et du symbole, qu'il retranscrit, distord, grave, gratte dans du papier mâché, des matrices de collages ou des eaux fortes exposées en nombre au musée.

Avec son ami, le poète français Pierre Garnier, il se lance aussi dans la poésie visuelle en dessinant des figures au moyen de simples lettres tapées à la machine, sortes d'œuvres héritées du surréalisme. Le mouvement mené par André Breton a en effet laissé des traces en Tchécoslovaquie. Paul Eluard et Breton sont même venus à Prague en 1936 défendre la diffusion de leurs livres, traduits en langue tchèque.

Ostracisation à l'Est

Influencé par ces auteurs, Ovčáček crée en 1960 avec le graveur Miloš Urbásek un groupe d'artistes indépendants réunis par leur pratique de l'art abstrait, alors interdit en Tchécoslovaquie. Puis la répression s'aggrave nettement avec l'entrée des chars russes dans la capitale, en 1968. Le Printemps de Prague musèle les artistes jusqu'en 1989. Pourtant ce précurseur du graffiti continue son travail, à l'instar de l'un de ses proches, un certain Vaclav Havel, dans des ateliers clandestins et exprime la situation politique de son pays par la lettre A. Pourquoi cette lettre ? «Parce qu'elle est monumentale, nous répondait-il dernièrement, elle en impose, et puis elle est comme le chiffre 1, facile à travailler, elle évoque une étoile, une pyramide».

Il joue avec sa taille de caractère pour moquer, avec un grand A couronné, le pouvoir autocrate et, avec une série de petits A se trainant en bas de page, les pays satellites ou la contre-révolution rampante. Autre détournement marquant de cette rétrospective : des tableaux à base de papiers journaux triturés, découpés, malmenés puis digérés et comme recrachés sur la toile pour dénoncer les bulletins officiels et une presse à la solde du pouvoir. Depuis la fin de la période dite de la Normalisation, Ovčáček a de nouveau pignon sur rue et, à 80 ans, il compte bien se servir longtemps de ce droit à la parole retrouvé.

Eduard Ovčáček, œuvres graphiques et sculptures
Au musée de l'Imprimerie, jusqu'au dimanche 16 mars


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L’homme de la Duchère