Hughie et les fantômes de la nuit

À New York, en pleine nuit, à l'étroit dans un hall d'hôtel, l'un parle et l'autre écoute. Jean-Yves Ruf met en scène "Hughie", texte plus complexe que son résumé ne pourrait le faire croire. Nadja Pobel


La vie fut de Eugene O'Neill une telle succession de déconvenues (mariages en pagaille, reniement de sa fille lorsqu'elle épouse à 17 ans ce quinquagénaire de Charlie Chaplin, maladie de Parkinson, alcoolisme, suicide de son fils…) que ses textes paraissent bien calmes en comparaison. Pourtant, dans le quasi monologue qu'est Hughie, rien n'est vraiment heureux non plus. Loin de là même.

Érié rentre à l'hôtel, qui parait être son domicile. Il est deux heures du matin selon une grosse pendule ne cessant d'indiquer en temps réel la durée de la pièce. Derrière le comptoir, Hughie n'est plus là. Un nouveau gardien a pris sa place et ne dit mot. L'action (si l'on peut dire) se déroule à New York, mais pourrait tout aussi bien prendre place à Châlon-sur-Saône, où cette pièce a été créée très récemment. Après tout, tous les halls d'hôtels se ressemblent et les solitudes des paumés sont les mêmes partout. Du théâtre masculin, américain, dans un endroit étriqué avec des personnages plus contenus qu'extravagants, ce pourrait être une matière parfaite pour Emmanuel Meirieu, qui avait d'ailleurs un temps pensé monter ce texte. Mais ici, c'est Jean-Yves Ruf, déjà auteur de nombreuses mises en scène à l'Opéra comme à la Comédie françaises, qui s'y colle.

Seul-et-seul

Avec une scénographie simple et réaliste (magnifique tapisserie à motif en fond de scène) et un banal comptoir en bois cachant aux trois-quarts le gardien, Jean-Yves Ruf n'accentue pas le déséquilibre inhérent au sujet. Nul besoin d'en rajouter, c'est sur le texte et la présence des comédiens que tout repose. Si Gilles Cohen (acteur au cinéma dans les deux derniers films de Jacques Audiard, notamment) a du à lui seul mémoriser toute la pièce, il a aussi l'avantage de pouvoir composer avec les mots. Son acolyte Jacques Tresse réussit lui la performance de jouer une figure quasi-muette qui s'ennuit en écoutant son interlocuteur tout en n'ennuyant pas le public.

Un vrai exercice d'équilibriste, très au point, qui suit le cours d'un récit allant crescendo. Hughie, faire-valoir d'Érié, est en effet décédé. Le locataire cherche alors à se trouver un nouvel avatar qui lui renverrait son écho. Et il se pourrait bien qu'il l'ait trouvé. C'est dire la noirceur et la brillance de cette courte pièce du dramaturge américain qui reçut le Prix Pulitzer pour l'ensemble de son œuvre en 1920 et le Prix Nobel de littérature en 1936.

Hughie
Au théâtre de la Renaissance, mardi 19 et mercredi 20 novembre


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