Daughter, fille unique

Fascinant, triste comme un long dimanche de fiançailles au cimetière, le trio Daughter frappe en douceur par un alliage imparable de mélancolie folk et d'envolées post-rock qui jouent volontiers les (grands) Icare. Trompe-la-mort, oui. Mais la mort dans l'âme. Stéphane Duchêne


De même qu'il fut un temps de rigueur dans le milieu du rock indépendant de reprendre, la langue dans la joue – tongue-in-cheek en VO – pour en souligner l'ironie, les tubes frivoles de Britney Spears, le nouveau sport à la mode semble bien de se cogner la scie funky du duo C-3PO Daft Punk : Get Lucky.

Invité aux quarante ans d'un ami éloigné, vous l'entendrez jouée par le groupe de baloche du village ; assistant à un concert de Wilco, vous verrez ce vieux Jeff Tweedy trop fier de son petit effet ; récemment tombé amoureux de la musique de Daughter, vous en dégringolerez des nues comme la côte de popularité de François Hollande.

L'exercice de style – Get Lucky est sans doute le morceau le plus éloigné du spectre musical de ce trio britannico-alémanico-français avec, disons... Papayou de Carlos – est tout bonnement prodigieux, euthanasiant avec morgue – au sens propre – mais sans pompe (pourtant funèbre) les velléités dansantes d'un tube de l'été devenu ici bocal de formol.

 

Zéro, l'infini

C'est que Daughter, mené par la voix empoisonnée d'Elena Tonra – dont l'art de miauler sa douleur rappelle un maître du genre : le trop méconnu Keaton Henson –, ne donne pas à proprement parler dans le funky beat Pierre et Vacances, oscillant entre mélodies éclairées à la bougie et incendies de cabane provoqués par ladite bougie – ou par celle qui la tient.

Il suffit d'un souffle, d'une étincelle, d'un rien, d'un geste, comme dirait notre Jojo national, du frottement de cordes de guitares en mode drone post-rock sur des morceaux à fleur de peau, pour mettre le feu aux compositions fragiles de cette dream folk qui ne demande qu'à s'envoler, à partir en fumée, ou les deux – Ken Thomas, ancien druide de Sigur Rós, est à la production de l'album If You Leave.

Là réside la bipolarité constitutive de Daughter : pour la chanteuse Elena, une manière de journal (très) intime, le récit d'une année – le genre d'année qu'on préfère soit oublier, soit coucher sur papier ou sur disque en guise de catharsis pour mieux repartir de zéro ; et pour le groupe une aspiration cosmique à tendre vers l'infini. Quitte à croiser en chemin deux types casqués aux faux airs de cosmonautes.

 

Daughter [+ Garciaphone]
Au Marché Gare, mardi 26 novembre


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