Thomas Foucher au cœur du corps

La galerie Domi Nostrae consacre une fascinante exposition au peintre lyonnais Thomas Foucher. Un artiste du corps, du geste et de la matière, toujours hantés par leur possible effondrement. Jean-Emmanuel Denave


Le noir et blanc sert aux photographes et aux peintres à mettre un peu de distance avec leurs motifs, à abstraire quelque peu leurs représentations. Thomas Foucher (né en 1976 à Suresnes, vivant à Lyon) utilise très précisément des gris colorés pour réaliser ses tableaux. Malgré ce filtre, quand on parcourt son exposition à la galerie Domi Nostrae, nous sommes immédiatement plongés parmi des entrelacs et des saillies de muscles, de veines, de nerfs, de peaux... Dans un monde de sensations brutes, fortes, frappantes. L'artiste représente pourtant des gestes simples dans ses différentes séries : une main posée à plat sur une poitrine, deux mains essorant une sorte de torchon imbibé d'eau... Gestes qu'il cadre hors de leurs contextes et de manière très serrée. Il y a chez Thomas Foucher une volonté de plonger au plus près de la matière, tout à la fois humaine et picturale. Volonté qui s'emblématise dans un tableau où les torsades de ceps de vignes se reflètent sur les lunettes de soleil d'un personnage, comme saturant son regard.
 

Fragiles présences


Ainsi que nous l'avons déjà indiqué, cette quête existentielle du corps est aussi brouillée, filtrée, abstraite : par une utilisation du gris, et aussi par des zones de flou, des projections de goutelettes de peinture... L'art figuratif et réaliste de Thomas Foucher se trouble, vacille (et fait vaciller nos certitudes visuelles), se confronte à la complexité d'une chair qui poudroie en atomes, qui se déchire ou se tord dans certains mouvements. Il y a dans ses œuvres une tension permanente et fascinante entre la figuration la plus précise et la défiguration qui la ronge, l'inquiète.

On pourra y voir une proximité avec Antonin Artaud qui, à propos de ses propres dessins, écrivait : «Je me souviens dans une existence perdue avant de naître dans ce monde-ci avoir pleuré fibre à fibre sur des cadavres dont les os poussière à poussière se résorbaient dans le néant. Ai-je connu leur anatomie ? Non, j'ai connu l'être en lambeau de leurs âmes dans chaque petit os de poussière qui gagnait les ténèbres premières et de chaque petit os de poussière j'ai eu l'idée dans la musique sanglotante de l'âme de rassembler un nouveau corps humain».

Tentative de conjoindre la forme à sa dispersion qui se retrouve encore dans la dernières salle de l'exposition, impressionnante avec ses représentations de crânes posés au milieu d'une architecture esquissée. Crânes ou antres abyssales, cavernes platoniciennes qui attirent dangereusement le regard et donnent étrangement au vide une certaine consistance.

 

Thomas Foucher
A la galerie Domi Nostrae, jusqu'au 4 janvier 2014


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