Atvakhabar Rhapsodies, l'écrin de Système Castafiore

Imprégné d'univers aussi éloignés de la danse contemporaine que le jeu vidéo et le cinéma d'animation, Atvakhabar Rhapsodies est une superproduction d'une rare inventivité. Et d'une dommageable vacuité. Benjamin Mialot


Aussitôt le rideau levé, Atvakhabar Rhapsodies, la nouvelle création de Système Castafiore, compagnie transdisciplinaire fondée en 1990 par le vidéaste et musicien Karl Biscuit et la chorégraphe Marcia Barcellos, adresse un clin d'œil – littéralement, grâce à un astucieux trucage – au platformer Limbo qui, avec son noir et blanc vaporeux et ses silhouettes aux yeux luisants, symbolisa le renouveau du jeu vidéo indépendant. Le premier d'une longue série. Le hit du studio Playdead est en effet loin d'être la seule œuvre dont ce spectacle à mi-chemin du divertissement à grand spectacle et de l'œuvre d'auteur renvoie l'écho.

Pour donner forme à l'Atvakhabar, contrée chimérique qu'aurait découvert au début du vingtième siècle un réalisateur du nom d'Emil Prokop (personnage croisé dans Protokol : Prokop, un ballet déjà foisonnant mais qui apparaît rétrospectivement comme un prototype de celui-ci), Biscuit et Barcellos semblent ainsi s'être inspirés du rétro-futurisme tel que Jules Verne le préfigura, des fantaisies animistes d'Hayao Miyazaki, des mutations bestiales de James Thierrée, du gothique facétieux selon Tim Burton, des bricolages visionnaires de Georges Méliès... Autant de maîtres à imaginer sous le poids desquels bien des spectacles se seraient écroulés dès la première répétition. Pas Atvakhabar Rhapsodies, qui de ces sources composites fait jaillir une esthétique n'appartenant qu'à ses inventeurs. 

L'histoire sans fin ni début

L'invention, c'est justement ce qui sous-tend l'ensemble du spectacle. Invention technique d'abord, qui s'exprime autant dans la fluidité avec laquelle s'enchaînent les trente-cinq (!) tableaux composant le spectacle que dans la poésie dont certains débordent (notamment une saisissante séquence de chute libre), sans autres ressources que des éléments de décors mobiles, des vidéos en images de synthèse et des filins apparents. Invention visuelle ensuite, personnalisée par le costumier Christian Burle, dont les tenues à base de mousses et fourrures synthétiques et de prothèses animalières sont parmi les plus stupéfiantes qu'on ait vus sur une scène (voir la parade des élans). Invention gestuelle enfin, matérialisée par une chorégraphie mêlant sur fond de scores cinématographiques routines d'arts martiaux, danses tribales, mime burlesque (le temps de deux amusants interludes ethnographiques), démarches d'automate et pas classiques, que les interprètes du Ballet de l'Opéra retranscrivent avec une belle aisance malgré les contraintes vestimentaires.

Que demander de plus ? Un substrat narratif et une charge émotionnelle qui, une fois la lumière rallumée, donneraient le sentiment d'avoir assisté à autre chose qu'à la projection d'une démo technologique pour console nouvelle génération. En l'état, Atvakhabar Rhapsodies a beau être l'un des spectacles les plus ludiques et élégants de ce trimestre, il est aussi, paradoxalement, l'un des plus désincarnés.

Atvakhabar Rhapsodies
A l'Opéra, jusqu'au samedi 23 novembre


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