Pendant que les enfants jouent...

En mettant en scène "Bouh !" de Mike Kenny, auteur majeur mais peu joué en France du théâtre anglais contemporain, Valérie Marinese s'appuie non seulement sur un texte rude, bouleversant et tout en finesse, mais elle lui donne aussi magnifiquement chair grâce à des acteurs tous constamment justes. Une des plus belles surprises de la saison. Nadja Pobel


Il s'appelle Bouh, comme une onomatopée d'enfant qui joue à faire peur. Comme, aussi, la petite fille d'un des meilleurs films Pixar, Monstres et cie, qui ne se laisse pas impressionner par la joyeuse armée de bestioles censée l'effrayer. Bouh, c'est ici un adulte (incarné par Luc Chareyron, impeccable) resté enfant, coincé dans une forme d'autisme, dont son frère s'occupe quand il rentre du travail. Nous sommes en Angleterre, dans une de ces banlieues oubliées par Thatcher et ceux qui l'ont suivi. Entre deux immeubles, des gosses jouent avec ce qu'ils peuvent : une balançoire, un ballon, un tas de sable. Un jeune ado a pour ordre de son père de ne pas lâcher sa petite sœur du regard, car sont placardés sur les murs des avis de recherche d'une certaine Kelly Spanner. Qui l'a enlevée ? Qu'est-elle devenue ? Bouh, sans jamais être nommément accusé, a tout du coupable idéal.

La grande force du travail de Valérie Marinese, qui continue son exploration d'un théâtre anglais contemporain d'une vitalité sans égal, est de livrer un spectacle très direct. Sans fioriture inutile, sans nimber la pièce d'un mystère potentiellement ridicule et sans jamais verser dans l'illustration, elle montre tout. Le texte et son rendu constituent un seul et même mouvement.

Sweet sixteen

Ainsi, le plateau donne lieu en permanence à deux espaces de jeu simultanés. À jardin, l'extérieur, le terrain des deux ados ; à cour, l'appartement étriqué de Bouh et son frère avec télé, canapé, frigo un peu décatis. Entre les deux, Marinese a eu cette idée simple et bougrement ingénieuse de suspendre de vieux rideaux qui permettent à Bouh et aux enfants d'établir un échange. Lorsque les enfants jouent, Bouh se fige et vice-versa. Dans ce dispostif parfait, des accessoires-clés viennent semer le doute chez le spectateur quant au rôle réel de chacun des protagonistes : des ciseaux (pour tuer ?), des bonbons (pour appâter ?), une carte (pour traquer ?).

Pendant que les adultes, invisibles, ont peur, les fratries s'aiment viscéralement une fois leurs petites engueulades éteintes. Elles font front contre la violence des insultes (Bouh est constamment traité de débile), contre la douleur insondable que génère l'absence de leurs mères, contre la misère que la société leur propose. «Qui s'occupe des enfants ?» s'inquiète Mike Kenny plusieurs fois dans ce texte, comme un écho à Ken Loach, dont il partage la même vision infiniment humaniste et noire de l'Angleterre et de son avenir.

Bouh !
Au théâtre de l'Elysée, jusqu'au samedi 23 novembre


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