New York sous cloche

En rajeunissant la comédie musicale "Bells Are Ringing", Jean Lacornerie signe un divertissement de grande qualité... mais qui peine tout de même à soutenir la comparaison avec les productions anglo-saxonnes. Benjamin Mialot


Au milieu du plateau trône une façade, posée sur une tournette telle une vitrine de jeu télévisé. Côté face se dévoile le bureau d'une opératrice téléphonique, Ella Peterson, godiche esseulée qui se plait à recueillir sous de fausses identités les confidences des abonnés : un acteur en mal de rôles, un dentiste se rêvant compositeur, un dramaturge peinant à boucler le script qui fera de lui l'idole du tout-Brooklyn... C'est l'appartement de briques de ce dernier qui se découpe côté pile, havre de paresse et de débauche où, au terme de quelques quiproquos - courtoisies également d'un flic suspectant Susanswerphone, la compagnie employant Ella, d'être une maison close, et d'un mafieux travesti en mélomane cherchant à y installer une opération de paris clandestins -, batifoleront ces deux tourtereaux au bout du rouleau (et du fil).
 

Mais c'est à cour et à jardin que se joue la réussite de l'adaptation signée Jean Lacornerie de Bells Are Ringing (ou Amélie Poulain chez les bookmakers), comédie musicale typique des grandes heures de Broadway (un tiers de romance, un tiers de réenchantement d'un quotidien pas folichon, un tiers de mise en abyme) qui, depuis sa création en 1956 par les librettistes de Singing in the Rain, n'a jamais été jouée en France – mais a été adaptée au cinéma par Vincente Minelli.
 

Static on the line

De part et d'autre de la scène se dressent en effet deux tourelles, dont les étages sont autant de cellules du fond desquelles les Percussions Claviers de Lyon, ensemble aussi joueur que virtuose soufflant cette année sa trentième bougie, rajeunissent en ne recourant qu'à des vibraphones la partition de Jim Lyne.Dommage, à cette aune, que la mise en scène, pourtant pas avare en astuces techniques (les sous-titres incrustés en divers endroits du décor, les skyscrapers figurés par des silhouettes lumineuses) et en trouvailles figuratives (notamment sur les scènes collectives de l'épidémie d'euphorie du métro et de la soirée mondaine virant au concours de name dropping), soit si statique. Le modèle a beau ne pas être un sommet chorégraphique, ce Bells Are Ringing-là méritait en effet mieux que quelques maladroits pas de cha-cha-cha.
 

A la décharge de Jean Lacornerie, ce grief est surtout une question d'éducation : aux États-Unis et en Angleterre, le moindre figurant de comédie musicale est un interprète complet et un monstre de charisme ; en France, on se contente de bien chanter et, dans le meilleur des cas, comme ici, d'avoir une gueule. 


Bells Are Ringing

Au Théâtre de la Croix-Rousse, jusqu'au vendredi 29 novembre


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