IAM what IAM

Dans l'histoire du rap français, le groupe IAM fait figure de légende. Après la sortie de leurs supposés deux derniers albums ("Arts martiens" et"...IAM"), les cinq Marseillais ont entamé une gigantesque tournée qui les emmènera jusqu'à début 2015. Shurik'n et Imhotep, de passage avec le groupe au Radiant ce jeudi, ont pris le temps de répondre à quelques questions. Propos recueillis par Nicolas Bros.


Votre dernier album...IAM sorti en novembre 2013 a été enregistré en même temps qu'Arts martiens. Est-il son jumeau ?

Shurik'n : Ces deux disques ont en effet été enregistrés à la même période mais ils ne sont pourtant pas "jumeaux" car chacun a un caractère complètement différent. Mais il y a derrière ces deux albums le même état d'esprit.

Quelles caractéristiques les distinguent justement ?

Imhotep : Avec un peu de recul, il y a des textes plus engagés, plus mordants sur...IAM ainsi qu'une musique plus uptempo. Au départ, ce n'était absolument pas calculé. Cela vient simplement du fait que lorsque l'on monte un tracklisting pour un album, au-delà de la qualité des morceaux et des titres que l'on apprécie ou pas, il faut trouver une unité et une cohérence. Nous sommes parfois obligés de faire des sélections et d'éliminer certains morceaux qui nous plaisent malgré tout énormément.

A travers vos textes engagés, vous parlez de l'actualité en France qui n'est malheureusement pas souvent très réjouissante. Quel est votre point de vue sur ce que l'on vit depuis plusieurs années ?

Imhotep : On parle souvent de crise, nous préférons parler de braquage orchestré par les banquiers et les traders. La situation va très mal. Nous sommes dans un système économique cruel. A un moment donné, on espérait que les politiques pourraient changer les choses mais on s'aperçoit aujourd'hui que les politiciens changent et que le système reste le même. On a perdu nos illusions et compris que les hommes politiques ne sont que des marionnettes aux mains des grandes entreprises qui nous gouvernent.

Est-ce que selon vous, le rap doit continuer à dénoncer ce qui ne va pas et appuyer les bonnes initiatives ?

Shurik'n : Bien sûr. Mais ce que nous demandons surtout, c'est un droit à la diversité et à une certaine nuance. Demande que les autres courants musicaux n'ont pas ou plus à faire. Nous sommes malheureusement en quête d'une place et d'une considération plus grande pour notre musique.

On a lu un peu de partout que ce dernier album pourrait être votre dernier disque. Est-ce que vous pourriez nous parler de votre relation au disque désormais ?

Imhotep : Les maisons de disques, malgré les changements de technologie et de consommation de la musique, ont voulu préserver leur marge. Ce ne sont pas des philanthropes, ils sont là pour faire de l'argent. Partant de là, moins on vend, moins on investit. Il est vrai qu'avec IAM, nous nous sommes habitués à un certain confort de travail. Non pas que nous ne pourrions pas faire ce que nous faisons avec moins de moyens mais si l'on veut continuer à faire rêver les gens et à rêver nous-même, il faut pouvoir continuer à réaliser des clips, être présents en promo lors de la sortie d'album, que le public puisse être au courant de ce que l'on fait... Avec un groupe comme IAM, toutes ces choses demandes certains moyens. Aujourd'hui, retrouver une maison de disques prête à nous suivre avec les conditions dans lesquelles nous avons l'habitude de travailler, il est vrai que c'est compliqué.

D'ailleurs, l'album...IAM n'était pas sûr de sortir. Sa publication dépendait des chiffres d'Arts Martiens ?

Shurik'n : Il était conditionné par les résultats d'Arts Martiens. Même si les titres présents sur...IAM ont été enregistrés au même moment et qu'une dizaine de morceaux avaient été mixés avec ceux présents sur Arts Martiens, c'est vrai que nous étions dans l'incertitude. Mais c'était déjà arrivé pour certains de nos albums précédents. A l'époque, il y avait des maxis et nous pouvions offrir des bonus, des versions inédites que nous estimions de qualité mais qui n'allaient pas se trouver sur l'album.

Donc aujourd'hui, la scène est devenue primordiale pour IAM ?

Shurik'n : Elle l'a toujours été. Avant même de signer notre premier contrat en maison de disques, on avait déjà 200 concerts au compteur. On a commencé par là et c'est resté notre fil conducteur. La scène, la rencontre avec les gens et le feed-back immédiat restent ce que l'on a fait de mieux en matière de réseau social.

Lors de votre passage au Radiant, qu'allez-vous proposer au public ?

Imhotep : Ce sera le même show que sur les autres dates de la tournée. Même tarif pour tout le monde ! (rires) Nous n'avons pas l'habitude de faire de différence entre les salles. A Caluire, le public partira pour plus de deux heures de show avec nous, le même qu'à l'Olympia ou à Marseille. Nous allons voyager à travers le temps avec des classiques et des nouveaux titres. Bien sûr, ceux qui nous connaissent savent qu'il y a toujours quelques petites différences, parfois des petites exclus mais il n'y a jamais de grands changements.

Quelle est votre vision de la scène hip hop française actuelle. Est-elle encore créative ?

Shurik'n : Oui, elle reste vivace. Il ne faut pas confondre la partie émergée de l'iceberg et ce qu'elle est réellement. Ça a toujours été fluctuant. Le rap, comme nous l'appelons, qui est redevenu mainstream aujourd'hui, c'est le rap qui dans les années 90 était underground. Le rap français reste aujourd'hui très diversifié et créatif. On le voit avec l'arrivée d'artistes comme Orelsan, très créatif autant au niveau visuel que musical, 1995 qui ont un esprit très « culture hip hop », Youssoupha qui est un auteur de talent, etc. Il y a du très bon. Il faut juste une plus grande médiatisation de ces artistes.

Imhotep : Il faut que les radios de service public passent du rap. Ce serait pas mal qu'au bout de 25 ans, elles commencent à diffuser du rap français qui est la musique la plus écoutée dans leur pays... Mais également qu'il y ait plus de radios privées qui diffuse du rap car pour l'instant, il n'y en a qu'une, ce qui permet aux autres de se décharger de leurs responsabilités. Il y a encore du travail dans la reconnaissance de l'importance du rap en France.

Shurik'n : On le voit d'ailleurs dans la difficultés d'organiser de gros événements musicaux rap par rapport à d'autres pays comme l'Allemagne. Le paradoxe est que la France est le second marché hip hop mais en ce qui concerne les possibilités de développement de cette culture, nous sommes en milieu de tableau.

Certains de vos textes sont désormais utilisés par des professeurs de français. Est-ce une fierté pour vous ?

Shurik'n : Déjà, ça ferait rire mes anciens profs de français. Ça les estomaquerait même ! (rires)
Imhotep : Cela nous fait extrêmement plaisir, bien entendu. Cela montre que ces profs qui prennent ces initiatives ont pris le temps d'écouter ou de lire nos textes. Ils ont saisi le parti que l'on pouvait en tirer. J'ai été moi-même enseignant et j'avais compris que pour qu'il apprenne, il faut d'abord éveiller le centre d'intérêt chez élève. Pour faire apprécier la poésie aujourd'hui, je ne vois pas d'autre moyen aussi fédérateur que le rap.

Shurik'n : Le rap est un outil conséquent. On peut amener certains jeunes à prendre goût à l'écriture et à l'utilisation des mots.

Imhotep : La prochaine étape consistera en la possibilité pour les profs de musique de créer des mixtapes et des albums avec les élèves et enfin remplacer la flûte à bec. J'ai bon espoir pour que dans une trentaine d'années on y arrive...

IAM [+ Eska]
Au Radiant-Bellevue, Caluire, jeudi 28 novembre


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