Gibson le glas

Avec sa country frappée par la foudre électronique, son physique d'outlaw et sa voix de minotaure, Daughn Gibson déclare sa flamme à l'Americana comme on pêche à l'explosif. Lui brisant le cœur au défibrillateur et les os à la pedal steel, en une mise à sac qui vaut mise à nue. Stéphane Duchêne.


Dans un "Americana Music Club" tout entier dévolu au culte du vintage (The Black Keys, Sallie Ford, Hanni El Khatib, on en passe...), le géant Daughn Gibson se pose en étonnant hybride rétro-futuriste. L'oeil dans le rétroviseur donc, mais filant à toute allure vers d'autres horizons, Mustang 62 bourrée d'électronique et de gadgets pour supercar.

De fait, Daughn Gibson a ce genre de voix – presque caricaturale la première fois qu'elle crochète nos esgourdes – qui le condamne à verser soit dans la country agonisante, soit dans le stoner rock (ce qu'il fit avec le groupe Pearls and Brass), soit dans n'importe quelle wave sépulcrale (new-, cold-, dark-).

Dans le doute il fait les trois et beaucoup plus à la fois, étourdissant ses guitares slide de beats amochés par la vie tandis que ses râles (Me Moan, ou l'art du titre) finissent de souffler l'humeur. Celle, comme sur la pochette de ce deuxième album, d'une église mise à sac, d'un temple Americana rendu à une certaine hérésie (le premier album s'appelait All Hell) et à tous ses états d'âmes.

Crotale

C'est qu'entre humour noir et gravité absolue sans, là non plus, vraiment choisir, Gibson tresse des textes à se plomber la cervelle, tel Franco, l'un des sommets de Me Moan – un mari console sa femme du suicide de leur fils et on se retrouve à Twin Peaks, ou quasi…

Où l'on croise le Depeche Mode de Delta Machine, le Scott Walker premium de Scott 4 et de la plongée gothique qui s'ensuivit et Lee Hazlewood retapé aux stéroïdes ; où la famille, l'amour, leurs dysfonctionnements et la route, bien sûr – Gibson fut chauffeur routier, comme le King – sont autant d'éléments récurrents et catalyseurs, sujets à l'accident, au frottement, aux étincelles – les beats de Kissing on the Blacktop, sifflant comme un crotale au fond d'une botte, ou quand la postmodernité des samples semble épouser les chants de la terre (You Don't Fade ou In the Beginning sur All Hell).

De là naît évidemment une forme de magie noire qui rend proprement indéfinissable le style qui en résulte. Or le style c'est l'homme, et Gibson, allure de loup-garou en liberté conditionnelle, ne se prive pas d'en rajouter en interprétation délibérément théâtrale – œil torve, lippe pendante et visage doloriste : Elvis freak jouant les Ghost Riders in the Sky de morne apocalypse white trash.

Daughn Gibson
Au Sonic, jeudi 12 décembre


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