Molly se (dé)livre


Molly Bloom a passé son après-midi à faire l'amour avec un amant. Le soir, dans son lit, aux côtés de son époux endormi, elle est prise d'insomnie et d'un flux de pensées que James Joyce nous livre dans le fameux chapitre final d'Ulysse (une soixantaine de pages sans ponctuation). Un monologue tissé de libres associations, aux propos crus, où la jeune femme semble prendre en écharpe le cours désordonné et un peu mélancolique de son existence, pour en dessiner en pointillés les lignes de fuite possibles. Le plaisir ou les déceptions sexuelles s'y mêlent aux propos les plus triviaux sur la toilette ou les règles féminines, aux problèmes d'argent ou aux réflexions fragmentées sur les rôles d'épouse, de mère, d'amante... Molly est un coeur simple qui, de mot en mot, tente de redonner sens à sa vie, d'y dénicher quelque signification, de relier vaille que vaille le passé au présent et, pourquoi pas, à un futur possible.
 

C'est la première fois que Molly a trompé son mari, mais Molly nous prévient qu'il n'y a pas de première fois, que toujours nous sommes pris dans une série infinie, dans un flux qui nous dépasse. C'est la première fois aussi que Molly roule sa vie dans autant de mots pour se délivrer de la tristesse et dire un grand Oui au désir. Cet autoportrait cubiste, Jean Torrent a eu la bonne idée de le porter à la scène avec la grande actrice Anouk Grinberg. Sa voix râpeuse et comme toujours un peu en retrait, ses soubresauts incongrus et enfantins, sa manière de concilier la naïveté sauvage à la gravité, nous font entrer, de manière singulière et vivante, dans la "peau" du texte de Joyce.

 

Jean-Emmanuel Denave
 

Molly Bloom
Au TNP, jusqu'au samedi 14 décembre


<< article précédent
Classe internationale