Les Sorcières de Zugarramurdi

Alex de la Iglesia fait de nouveau exploser sa colère dans un film baroque et échevelé, comédie fantastico-horrifique qui règle ses comptes avec la crise espagnole et, mais là le bât blesse, la gente féminine. Christophe Chabert


L'Espagne va mal, plombée par la crise et le retour d'un obscurantisme rallumé par le gouvernement Rajoy. Il n'en fallait pas plus pour raviver la colère d'Alex de la Iglesia, dont le cinéma s'est toujours nourri à égale mesure de culture geek et de révolte politique. L'entrée en matière des Sorcières de Zugarramurdi restera comme un de ses gestes les plus éminemment subversifs : en plein cœur de Madrid, un Christ, un soldat vert et Bob l'éponge vont faire un hold-up dans une boutique de cash contre or, autrement dit un usurier moderne qui profite de la précarisation ambiante.

La charge est violente, mais pas autant que les images elles-mêmes, puisque le casse vire au carnage, et la mise en scène à un impressionnant morceau de bravoure où de la Iglesia arrive à faire sentir physiquement le chaos de la situation. Les faux mimes et gangsters amateurs doivent donc fuir à bord d'un taxi direction la frontière franco-espagnole, avec étape à Zugarramurdi. En chemin, les voilà qui dissertent hystériquement sur les raisons qui les ont poussés à commettre leur forfait : leurs ex-femmes ou nouvelles copines qui les ont réduits à l'état de mâles pleurnichards et dévirilisés, quand elles n'ont pas confisqué la garde de leur gosse — Jose, le leader, a d'ailleurs embarqué son gamin Sergio dans l'aventure.

Les Sorcières sont parmi nous !

La suite voit de la Iglesia se lancer dans une comédie horrifique à base de sorcières cherchant à faire advenir un Antéchrist androgyne, et trouvant dans Sergio le cobaye parfait. Une sous-intrigue montrera aussi Jose subir les assauts amoureux de la harpie punk Eva (Carolina Bang, nouvelle égérie du cinéaste), dans une longue scène de ménage surréaliste qui, à l'instar du film tout entier, fait voler en éclats les notions de haut, de bas, de logique et de folie.

De ce sabbat endiablé où la mise en scène empile avec une jouissance hystérique les idées visuelles et sonores jusqu'à provoquer l'épuisement physique du spectateur, se dégage toutefois un discours dont la visée anti-féministe fait peu de doute : de la Iglesia règle ses comptes avec les femmes, dont il fustige l'envie de pouvoir qu'il identifie un peu vite à un désir de castration. C'est le prix à payer quand on est un auteur de sa trempe, qui semble à chaque nouveau film mettre ses tripes sur la table dans une démarche profondément viscérale : ici, c'est sa part sombre qui apparaît, les vicissitudes de sa vie intime se transformant en pamphlet zemmourien agressif et anachronique.

Les Sorcières de Zugarramurdi
D'Alex de la Iglesia (Esp-Fr, 1h52) avec Carmen Maura, Hugo Silva, Carolina Bang…


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