Blues celebration

Vieilli, usé, fatigué, Depeche Mode ? Sûrement pas : entre recettes maison, perpétuelles innovations sonores et production fureteuse et grandiose, les trois Anglais donnent avec "Delta Machine" un aperçu détonnant de leurs obsessions blues. Le blues couleur pétrole d'un groupe qui, à l'âge du Christ, n'a de fossile qu'une inépuisable énergie sans cesse transfigurée. Stéphane Duchêne


D'inspiration affichée Violator / Songs of Faith & Devotion / Ultra, Delta Machine aurait pu n'être que l'addendum tardif et donc éculé, à bout de souffle et de soufre, d'une quadrilogie fantasmée. Mais le trio de Basildon (soit l'Hydre Gahan-Gore, affublée de la "Super Nanny" Andy Fletcher, homme-lige de toujours), guère enthousiasmant sur ses précédentes sorties plus électro, retrouve le moyen de programmer ses machines – et plus largement le rouleau compresseur DM lui-même – aux confins de leurs possibilités pop.

La production confiée aux vieux briscards Ben Hillier et Flood s'affiche en bouillon de culture vénéneux découlant d'un vaste bayou sonique où rock et électro sont indémêlables, où l'un et l'autre se hantent, autour de pop songs plus sophistiquées qu'on ne le croit et pourtant universelles – car enfin DM renoue avec les tubes qui ont fait sa grandeur.

Filons et trésors

Depeche Mode, c'est un fait, n'a jamais fait la révolution, sa révolution, qu'à de rares occasions, et jamais de manière violente – y compris sur l'embardée gospelo-grunge de Songs of Faith & Devotion. Mais a toujours évolué en une sorte de porosité bowienne à l'air du temps, sans rien abandonner – ce qui peut aussi agacer – de ses obsessions primordiales (luxure, péché, rédemption, amours tordues, drame psycho-sexuels…), grattant jusqu'au sang les inguérissables névroses de Martin Gore pour favoriser les mues : petites morts et grandes renaissances (parfois miraculeuses) charriées par le crooning zombifié et chamanique du Dorian Gray reborn Dave Gahan – quoi qu'on en dise, l'un des plus grands chanteurs-prêcheurs de ces trente dernières années et l'un des rares à s'améliorer de manière constante, tel un Johnny Cash électro-rock.

Depeche Mode est un groupe survivant jamais plus percutant que quand on ne l'attend plus, à l'aise sur son terrain mais libre de tout y retourner pour en excaver ses propres filons, mais aussi profaner les tumuli de la tradition à la recherche de trésors inédits. Et même, comme ici, des ailleurs déjà furtivement entrevus (sur Violator notamment), tel ce Delta mississippien, terreau d'un blues futuriste soumis aux assauts d'une marée noire machiniste, une black celebration aux ondulations visqueuses et reptiliennes.

Depeche Mode
A la Halle Tony Garnier, jeudi 23 janvier


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