Beaucoup de bruit pour rien

Adaptation surprenante et réussie de la pièce de Shakespeare par Joss Whedon qui, après "Avengers", fait circuler son artisanat pop du centre d'Hollywood à ses marges avec la même sincérité. Christophe Chabert


Hasard des sorties : la même semaine, alors que le shakespearien Kenneth Branagh continue ses peu probantes aventures hollywoodiennes initiées avec Thor, Joss Whedon, le réalisateur d'Avengers, s'attaque à Shakespeare en adaptant avec un budget minuscule et dans sa propre villa à Los Angeles Beaucoup de bruit pour rien, dont la précédente version cinématographique était signée Branagh… Certes, les lecteurs des ouvrages de Pierre Berthomieu savent que la frontière est poreuse entre Shakespeare et Hollywood, et qu'Avengers, tout comme ses séries télé, étaient pour Whedon des descendances pop des pièces shakespeariennes.

C'est d'ailleurs ce qui fait le prix de Beaucoup de bruit pour rien ; avec une modestie non feinte, le réalisateur ne fait pas le malin face au texte original, conservant la langue élisabéthaine tout en transposant le contexte dans un monde contemporain dont il ne souligne que rarement les éléments les plus actuels. Il y a bien une photographe qui traîne dans les plans pour immortaliser la vie de ses princes et comtes vêtus de costumes trois pièces noir et blanc — comme l'image du film —, mais lorsqu'un smartphone apparaît à l'écran, il est transformé en gag paradoxal et anachronique.

Shakespeare, version cool

Si la réalisation se veut minimale, avec plusieurs caméras numériques portées pour enregistrer la performance live des comédiens, il n'en va pas de même de la mise en scène, focalisée sur l'envie de faire entendre au plus près le texte. Ainsi, les personnages sont sans cesse dans l'action ; le monologue de Benedict se transforme en entraînement matinal dans un jardin, et les manigances cherchant à faire ou défaire les mariages à venir se discutent en finissant les bouteilles d'une fête très arrosée ou dans la tension érotique d'un acte sexuel prématurément interrompu.

Si ce parti pris n'est pas toujours probant pour la part la plus "feuilletonnesque" du récit, avec ses trahisons, ses rivalités et ses malentendus, il s'avère très efficace pour rendre toute sa vitalité à la mécanique comique de Shakespeare. En cela, les scènes avec les «voisins»-vigiles, ici transformés en flics stupides dignes de ceux de Supergrave, forment le climax burlesque du film, Whedon trouvant une équivalence parfaite entre l'amateurisme des personnages dans la pièce et la vision moderne et sarcastique de policiers incultes et imbus de leur autorité. Finalement, Beaucoup de bruit pour rien n'est pas si éloigné d'Avengers : la facticité de ses prémisses s'efface devant le plaisir pris face au résultat, brillant, léger et très cohérent.

Beaucoup de bruit pour rien
De Joss Whedon (ÉU, 1h45) avec Amy Acker, Alexis Denisof, Nathan Fillion…


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