Satyre Lapointe

Romantique maquillé en queutard, le Québécois Pierre Lapointe, qu'on a connu dans toutes les positions, met sa trique sur la table avec "Punkt", une merveilleuse partouze musicale, bacchanale en trompe-l'œil d'un romantique en réalité soucieux de toucher au plus près de l'Amour et de ses tracas. Stéphane Duchêne


Les Québécois sont des malins. Tandis qu'ils nous refilent les bas-morceaux de leur variété la plus avariée, ils se ruent sur les disques de Pierre Lapointe, fou génial trustant systématiquement le sommet des ventes en la Belle Province, sans concéder quoi que ce soit au formatage. Partant du principe que «la chanson francophone tourne en rond», Lapointe s'est fixé pour règle de la faire tourner très vite. Histoire de lui inoculer un peu d'ivresse mais surtout de l'éjecter du manège par la grâce de la force centrifuge.
 

Bref, de la secouer un peu, de la déniaiser, de lui claquer le claquemerde. Quelle que soit la formule choisie par le chanteur, piano solo, cavalcades symphoniques, rock, électro, rap (oui, comme Patrick Bruel, enfin pas tout à fait), il s'agit de faire péter les coutures. Au point que sur Punkt, sa dernière saillie, Lapointe craque jusqu'à son slip et bande comme un jeune taurillon : «Les enfants du diable, par des jours agréables, gorgent leur verge de sang et s'enculent en chantant» chante-t-il sur Les Enfants du diable, ambiance BO de conte défait Disney

La sexualité

Punkt ou sa manière de faire le point (G) sur l'état de l'art, tout en faisant le punk en rentrant, au sens propre, dans le lard d'à peu près tout ce qui passe : «Pénétrer autrui, le jour, la nuit, sans cesse et sans répit en faisant l'amour» (La Sexualité). On pense ne pas reconnaître le jeune homme qu'on a connu Seul au Piano, arpentant La Forêt des Mal Aimés, fasciné par la machinerie féminine de l'Endomètre rebelle ou Le Magnétisme des Amants, car Le Lion Imberbe Pierre Lapointe, déjà pas piqué des hannetons, s'est laissé pousser du poil de la bête – à deux dos, voire plus si affinités.

Mais c'est pour mieux, en adepte du transformisme, se cacher derrière : brandir cette plume trempée dans le stupre, la folie et la fantaisie, comme on arbore un faux-nez ; comme l'amoureux transi se glorifie en matamore queutard, exorcise la Grande Faucheuse en s'enivrant de petites morts. Aussi volatile que le sentiment amoureux, Lapointe est ici insaisissable : grave quand on le croît facétieux, accablé quand on le croit comblé, Cupidon aux pattes de satyre, balançant sans cesse entre désir et remords, entre extase de cabaret et rupture, de ton, de tout. L'Amour est un point, certes, mais de suspension.

Pierre Lapointe
Au Radiant-Bellevue, mardi 11 février


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