Le Triomphe de Raskine

Constamment jubilatoire, drôle, tendu et vif, "Le Triomphe de l'amour" signe les retrouvailles de Michel Raskine avec la si brillante écriture de Marivaux. Une très grande mise en scène, comme il en a déjà tant derrière lui. Nadja Pobel


Sartre, Manfred Karge, Duras, Dea Loher, Marie Dilasser, Strindberg, Lagarce, Bernhard, Pinget, Shakespeare, Marivaux… Le moins que l'on puisse dire est que Michel Raskine, depuis ses débuts de metteur en scène en 1984 avec l'inoubliable et maintes fois repris Max Gericke, s'est confronté à des registres tellement différents qu'il parait compliqué d'y déceler un fil rouge.

Toutefois, si on se doute bien qu'il ne s'acharne pas à établir une continuité dans son travail, il n'en demeure pas moins que dès les premières minutes du Triomphe de l'amour, nous nous sentons autant chez lui que chez Marivaux par un savant décalage : les personnages sont costumés mais se trimballent avec un sac plastique Lidl ; le décor est massif, juste mélange de références antiques et modernistes, mais à jardin trône une table en formica avec bières, cagettes et vieille téloche qui sera le lieu de détente de l'un des comédiens à l'entracte.

Chez Raskine, le spectacle ne s'arrête jamais vraiment, la vie et la comédie se mélangent, le factice et le réel ne font qu'un. Il en était notamment ainsi en 2009 avec Le Jeu de l'amour et du hasard, qu'il laissait en suspension à la fin du troisième acte, la salle éclairée tandis que les comédiens ne saluaient pas, bavardant sur la scène.

Double inconstance

Ces moments de flottement contrôlés s'immiscent parfaitement dans une pièce à l'écriture d'une efficacité diabolique et étourdissante. La reine Leonide cherche à rencontrer le jeune Agis, qui vit reclus chez le philosophe Hermocrate et sa sœur Léontine, retirés du monde. Elle entreprend donc d'émouvoir – déguisée en garçon, sous le nom de Phocion - cette dernière et de charmer le penseur pour séjourner près de celui qu'elle veut pour époux. Sa servante Corine, le valet Arlequin et le jardinier Dimas lui seront à cet effet d'un grand secours Mais si l'amour finira bel et bien par triompher, cela ne vaudra que pour elle.

Pour incarner cette femme-mante (bien peu) religieuse, Clémentine Verdier, de la troupe permanente du TNP, vue dans de très nombreuses créations de Christian Schiaretti, est impeccable de rouerie et d'énergie, colonne vertébrale de ces 2h30 de quiproquos. Le reste de ce casting sans fausse note est mené par les illustres Marief Guittier et Alain Libolt (acteur pour Rohmer au cinéma et passé récemment par les planches des Célestins avec La Version de Browning et Casimir et Caroline ou au TNP avec Je disparais…), qui concourent à rendre limpide cet imbroglio dont ils sont les victimes.

Assumant pleinement le mélange des genres, en n'étouffant pas l'aspect burlesque voire "boulevard" de la pièce, Raskine mène une danse rapide au cours de laquelle la troupe ne perd jamais son souffle. «Quelle vivacité de mouvements !»  s'écrie Léontine dans l'acte II. Une exclamation qui recèle bien plus de profondeur qu'elle n'en a l'air.

Le Triomphe de l'amour
Au TNP, jusqu'au vendredi 21 février


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