Braquage à l'anglaise

Largement responsable, avec ses soirées au Club Transbo, du dynamisme actuel de la culture club lyonnaise, Haste ambitionne maintenant de remettre la production au centre du débat. Portrait d'un collectif qui, en dépit de ce que laisse entendre son nom, ne confond pas vitesse et précipitation. Benjamin Mialot


«Il y a plein de drôles d'oiseaux dans le milieu des musiques électroniques. Nous, nous sommes des corbeaux : nous sommes à l'écart, par choix et parce qu'en France et à Lyon en particulier, la culture techno fait défaut». Dressé à l'automne 2012 par l'intraitable groupuscule CLFT, ce sévère constat est depuis quelques mois battu en brèche : du fumoir tamisé du Terminal à la terrasse panoramique de La Sucrière, le 4/4 post-industriel n'a jamais autant eu le vent en poupe à Lyon.

Question de contexte, son mode de consommation, pour le moins hédoniste, s'accordant particulièrement bien avec le rude climat social du moment. Question de rajeunissement du public aussi, autant le fait d'un passage de relais démographique que le signe d'une maîtrise croissante des nouveaux canaux de communication. Question de militantisme surtout. Notamment celui du collectif Haste, dont les soirées ouvrent depuis deux ans de nouvelles perspectives esthétiques et éthiques.

Le cœur sur la Manche

Retour au début de l'année 2011. Cela fait déjà quelques temps que le dénommé Pierre Serafini cherche un moyen de traduire scéniquement le travail de défrichage qu'il mène à la tête d'Airflex Labs (et en tant que producteur d'electronica en relief sous le nom d'Opti), fondé au moment où le dubstep commençait à fissurer les sous-sols des grandes métropoles britanniques.

Le changement de direction à la tête du Transbordeur va le lui offrir : avec David Fontaine, directeur adjoint de la salle, il met sur pied une soirée toute entière dédiée à la bass music d'outre-Manche, «scène bourgeonnante qui se posait en contrepouvoir à la techno minimale et à la house traditionnelle, qui écornait le monument allemand». Après ce premier essai, baptisé Airflex Session, germe l'idée d'instaurer un rendez-vous régulier. Elle se concrétisera un an plus tard avec le concours de Totaal Rez, autre structure sensible à ces sonorités fondamentalement urbaines, sous le nom de Haste.

Haste comme "urgence", celle qu'il y a à découvrir une scène qui, petit à petit, va redéfinir les standards du clubbing, tant sur le plan musical que sur le plan humain. Explications de Serafini : «On aurait pu sous-titrer le projet "Good music for bad people". On aime les productions subtiles dans le travail de la matière mais qui restent capables de déchaîner les foules. De préférence un public hétérogène à la londonienne. L'ambiance là-bas est très particulière, avec des working boys qui enlèvent la cravate à peine sortis du boulot pour danser à côté de jamaïcaines en short fluo. C'est unmelting pot assez exceptionnel et qui se retrouve ici : notre public est très coloré, très varié. On tient à ce rôle d'activateur social nocturne. On ne veut pas être dirigé par un type de son, être une "place to be" où les excès seraient les seuls fédérateurs. Ça ne veut pas dire qu'on fait du clubbing smart ouélégant. Ce sont simplement des soirées avec de fortes propositions artistiques».

Mesures d'urgence

Cet engagement, les trois partenaires l'honoreront tous les deux mois, important notamment le UK garage à l'eau de rose du Canadien Jacques Greene,  la techno renfrognée et serpentine de South London Ordnance ou celle, irrésistiblement menaçante, de Blawan. C'est d'ailleurs la venue de ce dernier, plus que sold out, qui les confortera dans leur démarche. A partir de là, émergera petit à petit un noyau dur d'activistes (Serafini, ou plutôt PEEV, de son pseudo plus rentre-dedans,  P.I.L.A.R., sa moitié,  Heblank, un transfuge d'Airflex, et un chargé de com') autour duquel gravitent des designers (WSK) et des factions sur la même longueur d'onde (comme le parisien Sonotown, récemment à l'honneur de Haste & Friends, déclinaison gratuite du concept d'origine). Dans l'intervalle, la fermeture d'Airflex Labs, arrivé à un stade de son évolution nécessitant trop d'investissement pour perdurer, donne un élan supplémentaire à la bande : «C'était l'occasion de repartir sur nouvelles bases, qui suscitent moins d'adhésion de prime abord mais sont plus marquantes sur la durée. Ça a renforcé mon envie de faire des choses sans concession».

Une envie qui, loi des cycles oblige, passe par la création d'un label : «Lyon commence à avoir une belle réputation sur le plan scénique. Il faut transformer ça au niveau de la production. Revenir aux fondamentaux. Renouer le dialogue entre musiciens. Ce n'est pas un retour en arrière. Je serais très heureux qu'un outil comme Haste soit actif pendant vingt ans, mais ce n'est pas une vocation. Je ne veux pas passer ma vie à organiser des soirées». Dans les faits, cette logique devrait s'exprimer par la publication de travaux de producteurs du cru, dont ceux du collectif : «Il y a une grosse fuite de capitaux vers l'étranger dans le monde de la musique. Moi, tout ce que j'ai appris, je l'ai appris chez des gens [Jarring Effects, NdlR] qui utilisaient le bénéfice des soirées pour développer des artistes. L'ère est au name-dropping, mais le retour au local est vital. On va essayer de remettre de la simplicité dans tout ça. Peut-être que ça résonnera, peut-être que ça ne résonnera pas». Il faudra attendre le printemps pour le savoir. D'ici là, n'en déplaise à Sérafini et ses camarades, le retour de Blawan est the place to be cette semaine.

Haste 12 – Blawan [+ Oxyd + Likhan + PEEV]
Au Transbordeur, vendredi 7 février


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