Le match de leur vie


Jesse Owens contrariant par l'exemple les théories de domination aryenne ; Jason Collins (NBA, Brooklyn Nets) et Michael Sam (Foot US, Université du Missouri), seuls exemples de sportifs masculins en activité à avoir publiquement annoncé leur homosexualité ; Tommy Smith et John Carlos levant un point ganté de noir sur le podium des JO de Mexico en 1968 ; Mohammed Ali refusant de répondre à la mobilisation pour la guerre du Viêt Nam...

Nombreux, mais pas moins exceptionnels pour autant, sont les sportifs qui ont mis en péril leur carrière, parfois leur vie, pour défendre des idées en défiant un pouvoir politique impuissant à s'opposer à leur aura. C'est à ces moments où le sport devient vecteur de quelque chose de plus grand, où le corps du sportif ne lui appartient plus, devenant récipiendaire du corps social au mépris de sa propre intégrité, où son destin individuel s'infléchit au profit du destin collectif que se sont intéressés d'un côté Stephen Frears, de l'autre Gilles Perez et Gilles Rof avec leurs films Muhammad Ali's greatest fight, présenté en avant-première lors de la manifestation, et Les Rebelles du Foot.

Dans ce dernier, un célèbre "rebelle", Eric Cantona – même si ses rebellions ont davantage pris l'allure de coup de sangs (on se souvient du «sac à merde» adressé à Henri Michel), de jets de ballon ou de maillot et de démonstrations de kung-fu – raconte les destins de footballeurs dont les combats, pas toujours connus du grand-public, appartiennent à l'Histoire : parmi eux Didier Drogba qui, fort de son Ballon d'or africain, tient tête à Laurent Gbagbo pour tenter de réconcilier – et y parvient pour un temps – le peuple ivoirien au bord de la guerre civile ; Socrates, le père de la "démocratie corinthienne" qui, en pleine dictature militaire brésilienne, échange son départ en Italie contre le vote d'un amendement constitutionnel ; ou encore Rachid Mekloufi qui renonce en1958 à son statut de star stéphanoise et française (et à la Coupe du Monde) pour rejoindre clandestinement l'équipe du FLN, future sélection nationale de l'Algérie indépendante.

En exergue de ce documentaire, ces mots bien connus d'Albert Camus : «Tout ce que je sais de la morale c'est au football que je le dois». On pourrait rétorquer que tout ce que le sport investit ou non de morale, il le doit avant tout à ceux qui le pratiquent.

Stéphane Duchêne


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