L'instant où tout bascule


Dessinées ou peintes, les femmes prennent le pouvoir et saisissent le regard dans les œuvres de Pat Andrea (né en 1942 à La Haye). Mais sont-ce réellement des femmes, ces figures qui souvent n'ont ni torse ni bras, qui rajeunissent soudainement à l'état de fillettes dignes de l'univers de Lewis Carroll, qui se jouent de la pesanteur en cabrioles acrobatiques, qui exhibent sans ambages les fantasmes les plus crus ?

«Je voulais peindre des choses horribles, mais les peindre très bien, de façon très esthétique, afin d'obliger les gens à les regarder et à prendre conscience des éléments horribles du réel. Rendre ce réel beau, le plus beau possible, voilà ce qui me motivait, bien que je n'aie jamais su exactement ce qu'était le beau», déclarait l'artiste dans un entretien. La perversité, comme chez les artistes Balthus ou Pierre Klossowski, est ici un élément positif et puissamment fertile en créativité : elle déjoue les codes de la grande peinture classique, déchire le voile de la pudibonderie réaliste, puise aux ressources sulfureuses des pulsions de vie et de mort, condense en une scène simple bien des extravagances de la pensée et du corps imaginaire.

«Ce qui m'intéresse et que je cherche à restituer sur la toile ou le papier, c'est toujours le moment où une situation change, se renverse, l'instant où quelque chose bascule et provoque un nouvel état des choses et des êtres. Il me faut, partant de modèles anciens, produire des images résolument modernes». Le féminin chez Andrea est matrice à toutes les métamorphoses.

Jean-Emmanuel Denave

Pat Andrea
A la Galerie Anne-Marie Pallade, du jeudi 20 mars au samedi 17 mai


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