Ainsi soit tif !

Grand mamamouchi de la scène garage qui sent des pieds et se nettoie les oreilles à la soude, Cheveu manque de surprendre avec "BUM", virage pop en trompe-l'œil et trompe-la-mort. A ceci près qu'avec Cheveu, rien n'est jamais vraiment surprenant. Stéphane Duchêne


D'aucuns pensent que Cheveu est le meilleur groupe de rock français. Le seul peut-être qui vaille la peine de ne pas enterrer ce vocable, "rock français" donc, sous un tas de déchets radioactifs, quelques comptes de campagnes mal branlés et la recette du Coca-Cola, le tout en le maudissant, le rock français, jusqu'à la septième génération de la descendance de Shaka Ponk. Ceux-là ont un côté ayatollah, le doigt un peu nerveux sur la gâchette et la canette mais, à certains égards, ils n'ont pas tort.

Cheveu au moins, fier ambassadeur de Born Bad Records, est le chef de file d'une scène rock intransigeante et totalement désarticulée. Et c'est ce deuxième point qui, avant tout, importe. Voyons par exemple, ce que dit le webzine musical américain Pitchfork, dont la réputation de constipé du compliment n'est plus à faire mais dont le regard est toujours acéré. Il qualifie ainsi l'oeuvre de Cheveu d'«erratic», disant en un seul mot ce que le Français peut traduire par «irrégulier», «fantasque», «capricieux», «imprévisible», «bizarre», «errant». Eh oui, Cheveu est tout cela à la fois.

Pirate Bay

Le trio le disait lui-même dans les pages de notre édition grenobloise en 2011 : il ne court pas après une «esthétique hyper définie». Autant dire que parler de virage pop concernant son dernier album, BUM, au prétexte qu'il n'est pas produit avec un rabot, c'est risquer la sortie de route. Tel ce tif détaché qui vous pend devant le visage et vous fait loucher sans que vous puissiez l'attraper (si vous n'avez pas de cheveu pour réaliser cette expérience, empruntez-en un à un ami), BUM est insaisissable. BUM zappe tel le Gilles de la Tourette moyen d'une humeur à l'autre, par saccades quantiques – et même parfois cantiques : de la prodigieuse ballade schizoïde Polonia – et son emprunt au Buffet Froid de Bertrand Blier – au synth-garage de Juan in a Million, du très "oï" Albinos au malsain Madame Pompidou, des choeurs en boucle de Monsieur Perrier au splendide Johnny Hurry Up, qui referme l'album aussi magnifiquement que Pirate Bay l'ouvrait et sur lequel plane un instant le fantôme de la mélodie de Sur un trapèze d'Alain Bashung.

Braillard, querelleur, inconséquent, ombrageux et rigolard, voilà Cheveu. Pour beaucoup, ce pourrait être la définition du "meilleur groupe de rock français". Et alors quoi ?

Cheveu [+ Poil]
Au Marché Gare, ercredi 26 mars


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