Fauve qui peut

Il est peu de groupes cultes qui peuvent se permettre le luxe de décevoir dès leur premier album. Après le buzz grandissant né fin 2012 sur le net, un EP cinglant baptisé "Blizzard" et un véritable raz-de-marée de concerts sold out, la montagne Fauve a, avec "Vieux Frères", accouché d'une souris. "Génie" déjà essoufflé ou créature en pleine mutation ? Il faudra attendre la suite pour le savoir, annoncée pour l'automne. Stéphane Duchêne.


Lors de la première venue de Fauve dans les environs, au Théâtre de Villefranche, on avait souligné dans ces pages-même l'éventualité qu'à plus ou moins court terme, de cette étincelle devenue feu de forêt il ne resterait plus qu'un paysage désolé. Piétiné par l'élan des fans, parti en torche. Fauve avait tout pour exploser en vol et on était près à souffler sur les braises, à balancer de l'essence, parce que c'est ainsi que ç'aurait été le plus beau – «Better to burn out than to fade away» chanta Neil Young, offrant ainsi bien malgré lui à Kurt Cobain la plus mauvaise des idées et la meilleure des épitaphes, éclaboussée sur un mur.

C'était au moment de Blizzard, EP en forme de coups au foie et de retour d'une certaine foi. Et si au final "le phénomène Fauve", décortiqué façon papillon jusque dans les pages "Evénement" de Libération – assorti d'une courte critique écrite «du bout des doigts» – cloué aussi, au mur, au pilori, par bien d'autres - y compris dans les pages du même Libération par l'inénarrable "Bourre-paf" de Garrigos et Roberts -, parodié, moqué – bien maigre rançon de la gloire à vrai dire – connaissait la pire des fins ? Celle d'une cannette secouée dans tous les sens et qui à l'ouverture, par on ne sait quel défaut de fabrication, se contente de faire pschitt.

Tunnel

Savamment annoncé, teasé, par cette bande de petits malins accros à l'anonymat jusqu'à la pose, c'est l'effet qu'a fait Vieux Frères – Partie 1 (deuxième épisode annoncé pour l'automne). Le webzine Popingays a parfaitement résumé la chose : «Aurait-on trop aimé leurs premiers titres ? Trop adulé Kané, trop trippé sur Nuits Fauves, trop vénéré Cock Music Smart Music, trop flippé sur la justesse de Blizzard, pour pouvoir apprécier à sa juste valeur la première galette complète de Fauve ? La déception est-elle alors à la hauteur de la vénération première ?». C'est que la galette complète est bourrative et que les ingrédients ne surprennent plus. Pas grand-chose en effet qui rivalise avec la rage tendue de Blizzard, le nihilisme tropical de Kané, le romantisme de Nuits Fauves. Surtout, comment courir le marathon quand on est taillé pour le sprint et la fuite en avant, tenir un siège quand on ne sait débarouler qu'en mode blitzkrieg ? A force de vouloir se donner du souffle sans prendre le temps de respirer, sur la longueur Fauve hyperventile, l'inspiration en manque d'oxygène sur la forme comme sur le fond (on aura compris qu'il ne fallait pas la draguer cette infirmière !).

Oh, il y a des fulgurances sur Vieux Frères, quelques riffs délicieusement cyclothymiques – comme Tunnel, dont la partie instrumentale rappelle le feeling à la Feelies de Blizzard –, mais elles vous ramènent toujours au point de départ. Fauve tourne en rond. Comme tous les écorchés en guerre contre le monde entier, Fauve est en boucle et se dilue dans Fauve à force de parler de Fauve. Alors, comme face à l'ami dépressif qui ne parle que de lui, on se surprend à remuer la tête mais on n'écoute plus, on décroche. Et si l'on tape du pied, c'est peut-être d'impatience. Il y a ces moments carrément gênants, excès de naïveté, au mieux : Jeunesse Talking Blues, le refrain en voix de tête d'Infirmière, Loterie qui sent le Grand Corps Très Malade, des morceaux de "jeunesse" qui ont le mérite de témoigner du parcours du groupe mais font un peu tache comme Voyous et son featuring rap sur fond de Schubert ; cette impression que le Corp ne s'adresse qu'à lui-même.

Gueule de bois

Fauve avait peut-être tiré ses meilleures cartouches, forcément usé de ses meilleurs charmes, pour attirer l'attention, le voilà comme en mal de munitions. L'ivresse laisse place à la gueule de bois et notre «instant crush» au «what the fuck ?». Une fois installé à la maison, l'amant des Nuits Fauves est tout de suite moins glamour, un peu chiant. Ce qu'il avait de touchant est devenu agaçant – on a les qualités de ses défauts. Pas grave, le collectif Fauve Corp. continue d'aligner les concerts sold out. Ici le Radiant, bientôt les Nuits de Fourvière, dont ils seront l'une des attractions – au sens premier du terme, on viendra voir la femme à barbe du cirque rock français – et surtout 20 Bataclan (20 x 1500 places) quand tant de groupes rêvent d'en faire un.

Tout cela, on ne leur enlèvera pas : «Avant de finir six pieds sous terre, j'aurais vécu tout c'qu'il y a à vivre / Et j'aurais fait tout ce que j'peux faire, tenté tout c'qu'il y a à tenter / Et surtout on m'aura aimé». En attendant, on continue malgré tout d'espérer que le deuxième acte de Vieux Frères, annoncé comme radicalement différent, relancera la machine et ravivera le feu des débuts. Parfois, après avoir vomi ses derniers centilitres de bile, on retrouve un peu de vigueur et un nouvel élan. C'est peut-être ce en quoi ce premier volet était nécessaire : annoncer le renouveau ou une fin programmée.

Fauve
Au Radiant-Bellevue, mercredi 26 mars


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