Au bonheur des arts

Dix ans que les Subsistances font contrepoids aux institutions culturelles lyonnaises. Durant un week-end sur la thématique du bonheur, ce laboratoire artistique se demande si «Ca va ?». Réponse par l'affirmative de sa co-directrice, Cathy Bouvard, qui n'a pas vu le temps passer. Nadja Pobel


«Comment ça va sur la terre ? / - ça va, ça va, ça va bien. / Les petits chiens sont-ils prospères ? / - Mon Dieu oui, merci bien». Et si cette strophe de Jean Tardieu que les écoliers connaissent par cœur était un raccourci de ces dix années de Subsistances ? Car ce lieu atypique se porte bien. Les chiffres en attestent : 70 compagnies accueillies - dont 20 internationales -, environ 35 créations et 35 000 spectateurs par an. Cathy Bouvard, co-directrice du lieu avec Guy Walter (par ailleurs directeur de la Villa-Gillet), se dit elle-même heureuse du chemin parcouru (à toute allure), et d'y avoir fait découvrir – entre autres ! - ces Chiens auxquels elle n'accole même plus le nom "de Navarre" tant elle a connu tôt cette troupe, la programmant à plusieurs reprises bien avant que des lieux beaucoup plus institutionnalisés ne les réclament - comme le très médiatique Rond-Point parisien,  où ils ont fait l'événement en février.

Les Chiens de Navarre donc, mais aussi le metteur en scène David Bobee, le comédien Gilles Pastor, les performeurs Steven Cohen et Phia Ménard… Une histoire de compagnonnage qui n'a jamais été pré-établie et s'est installée au fil du temps. Cette spontanéité est à l'image même de l'histoire du lieu. En 2003, Cathy Bouvard prend les rênes de cette friche (avec Guy Walter donc), au sortir d'un faux départ marqué par le décès précoce en 2000 de Paul Grémeret, préfigurateur du projet, et le départ de son successeur Klaus Hersche. Denis Trouxe, adjoint à la culture de Raymond Barre, souhaitait faire de cet ancien couvent et lieu de stockage de l'armée un endroit d'expérimentation, à l'image de la Belle de Mai à Marseille ou de ce qui deviendra plus tard, en 2008, le Cent-Quatre à Paris. Cathy Bouvard réfléchit alors à ce qui manque à Lyon : «un lieu de création pour les artistes les plus contemporains de la scène, dans des zones très interdisciplinaires. À l'époque personne ne travaillait sur le cirque par exemple. En danse, les plus contemporains ne venaient jamais à Lyon». 

Une question de tempo

Exit donc le mode de programmation classique de saisons figées très à l'avance, place à des temps forts récurrents qui se dessinent au fil des rencontres et qui se structurent, à quelques exceptions près, dans le courant de l'année : un grand spectacle en septembre, le festival Mode d'Emploi en novembre - au croisement des sciences sociales et des arts vivants et qui verra cette année une création de Bruno Meyssat sur la mission Apollo et notre inlassable besoin de conquête de territoires, la mise en avant d'une compagnie en décembre - les magiciens chambériens de 32 Novembre sont attenduscette année -, Aire de jeu en janvier - des chorégraphes créent à partir du travail d'un compositeur -, le week-end "Ca … ?" en mars, les Assises Internationales du Roman en mai et une "Livraison d'été" en juin - une comédie musicale autour d'un texte de Martin Crimp par Marcial Di Fonzo Bo et Elise Vigier dans trois mois, des créations des fidèles Bobee et Chiens de Navarre en juin 2015.

Au-delà de ce défrichage culturel, la programmation est nimbée de l'idée de fête,  à l'image du pique-nique chorégraphié par la directrice de la Maison de la Danse Dominique Hervieu pour "Ca va ?",  pivot de réjouissances par ailleurs inédites,  chaque spectacle étant créé spécialement pour l'événement, in situ, suite à une commande à la croisée des besoins de l'artiste et des envie de l'équipe des Subs.

Risque

Cet agréable espace se doit en effet d'appartenir à tout le monde. «Chacun doit pouvoir se dire "ce lieu est aussi pour moi"» insiste Cathy Bouvard, non sans reconnaître bien volontiers que, comme tout lieu de culture, les Subs sont surtout fréquentées par des CSP+. Les jeunes y sont toutefois beaucoup plus largement représentés que la vieille garde et les tarifs très bas (8€ maximum, beaucoup de gratuité). Des workshops et de très nombreux ateliers tout au long de l'année visent également à faire connaitre l'art autrement, pour un public potentiellement différent car observant un rapport de totale bienveillance à l'égard de l'artiste, plus disponible qu'ailleurs. Cathy Bouvard : «Pour les étrangers qui viennent travailler ici, c'est la planète Mars. A New York, les membres du Big Dance Theater doivent par exemple interrompre les répétitions à 18h pour aller travailler après pour gagner leur vie» explique-t-elle, avant de poursuivre «qu'en France, on a cette immense chance de protéger les artistes, ce qu'il faut à tout prix préserver». Soutenues très fortement par la Ville (à 60%) et la Région, les Subsistances ne touchent quasiment pas de subsides de l'Etat, faute de pouvoir être rangées dans une case («le grand malheur français !»). Malgré ce manque (grâce ?), elle reconnait qu'elle et Guy Walter ont ici une vraie liberté, son lieu restant, en cette période inquiétante qui voit le Front national progresser dans les urnes, un endroit «où l'on peut se confronter sans risque à des étrangetés qui nous rendent le monde un peu moins violent». Un havre en somme.

Ça va ?
Aux Subsistances, du jeudi 27 au dimanche 30 mars


<< article précédent
Aux bords de la folie