Des racines et des ailes

Aux commandes d'une "Fanfare" de haut-vol, Jonathan Wilson est revenu l'an dernier avec un album de très haute altitude, qui aspire aux nues des grands obsédés psychédéliques. Pour le pire ? En fait plutôt pour le meilleur. Stéphane Duchêne


On connaît le vers de Baudelaire devenu maxime sur cette histoire d'ailes de géants qui empêcheraient de marcher mais font de celui qui les porte un prince des nuées. On sait aussi qu'à vouloir voler trop haut, on a les ailes qui chauffent au point de disparaître dans le zénith (le point astronomique, pas la salle de concerts) ou de retomber comme une vieille gaufre.

C'est toute l'histoire du dernier album de Jonathan Wilson qu'on a connu avec Gentle Spirit (2011), l'oreille collée au transistor 60's en bon disciple studieux, propret mais pas moins génial, des folkeux de Laurel Canyon – où il vit – et dont les maladresses contenaient en leur sein les fulgurances. Et aussi déjà quelques virées psychédéliques pour lesquelles Wilson s'est cette fois embarqué pour de bon. L'admirablement bien nommé Fanfare, qui affiche rien de moins sur sa pochette que le poster créationniste du plafond de la chapelle Sixtine, est un retour en… en fanfare donc. Sans retenue aucune.

Illumination

Cette fanfare, Wilson est allée la chercher du côté des psychédéliques californiens et anglais (Grateful Dead, Eagles, Pink Floyd…), dont certains sont devenus si obsédés par l'enregistrement ultime qu'ils ont fini par accoucher du monstre soft-rock, avant de finir VRP malgré eux pour des marques hi-fi haut de gamme type Bang & Olufsen. Inutile de dire qu'on peut être totalement réfractaire à ce genre de salade trop bien composée, trop bien présentée – et la plupart du temps on l'est. Sauf que dans cet exercice – de style ? – Wilson est non seulement d'une grande intégrité mais surtout un as. Accompagné de Crosby et Nash (ceux-là mêmes), son Cecil Taylor est une tuerie en très haute altitude, digne de… Stephen Stills, Illumination un embrasement de torches youngiennes, Lovestrong et All the Way Down deux ballades désarmantes et excessives comme Pink Floyd savait jadis les servir.

Cette re-Création d'une époque ; ces obsessions mystiques aussi (Moses Pain, Desert Trip, Future Vision…), explications possibles de la pochette évoquée plus haut ; cette volonté de mettre bas une musique qui contient tout et de lui constituer jusqu'à l'obsession maladive l'écrin parfait, sont tout simplement fascinantes. Bien sûr, comme dans le vers de Baudelaire ou le mythe d'Icare, la plus grande force de Fanfare, cette envergure fabuleuse, est aussi sa plus grande faiblesse. Et inversement.

Jonathan Wilson [+ Syd Arthur]
A l'Epicerie Moderne, mercredi 2 avril


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James Ellroy, storyteller