Les dossiers de Warren


Visuelle par excellence, la littérature policière est l'une des plus solubles dans le neuvième art. La très belle collection d'adaptations que co-éditent Castermann et Rivages depuis 2008, et qui comprend notamment un scrupuleux et iconique Dahlia Noir par Matz, David Fincher et Myles Hyman, suffit à en attester. La présence simultanée dudit Myles Hyman et de James Ellroy à Quais du polar aussi.

Ce n'est toutefois pas dans cette convergence que réside l'événement BD de cette édition 2014, mais dans la venue d'un scénariste anglais à la barbe druidique dont l'un des principaux accomplissements est d'avoir déconstruit la figure du super-héros. Non, il ne s'agit pas d'Alan Moore, mais de Warren Ellis, auteur de Planetary et The Authority, sagas spectaculaires et sophistiquées qui le virent, d'un côté par le prisme d'une organisation secrète d'archéologues surhumains, de l'autre par celui d'une force d'intervention planétaire aux méthodes expéditives, non seulement mettre au jour les modes de construction de la culture pop (du cinéma hongkongais aux comics eux-mêmes), mais aussi examiner sous un angle inédit de brûlantes questions de société (de l'homoparentalité au terrorisme).

Typiquement britannique, ce mélange d'érudition et de subversion irrigue le reste de la prolifique bibliographie de cet éditorialiste compulsif (et homonyme du violoniste de Nick Cave). En particulier l'ultra-violente trilogie Black Summer / No Hero / Supergod, où le héros costumé est envisagé tour à tour comme un redresseur de torts extrémiste, un escroc psychopathe et une arme christique ; les deux page turners qui lui valent une place à la même table que Craig Johnson, le délirant Artères souterraines (un privé poissard est chargé de retrouver la Constitution secrète des États-Unis) et l'effréné Gun Machine (après avoir dessoudé un forcené, un flic découvre chez lui des armes le reliant à des dizaines de crimes non élucidés) ; et surtout son chef-d'œuvre, Transmetropolitan. Soit l'histoire, dans un futur grotesque et pourtant de plus en plus visionnaire, de Spider Jerusalem, journaliste gonzo à la Hunter S. Thompson décidé à libérer à n'importe quel prix ses contemporains du joug d'une bureaucratie corrompue. Toute ressemblance avec la rédaction cette semaine est purement fortuite.

Benjamin Mialot


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