La tendresse des fous


A écouter les histoires du conte philosophique Aventures, extrait du recueil du Polonais Witold Gombrowicz Bakakaï (1933), on croirait naviguer dans les bandes dessinées de l'apocalyptique Philippe Druillet, mis à l'honneur dans notre précédent numéro. Car il y a dans ce texte des ressorts aussi déglingués et pourtant parfaitement maîtrisés que ceux que restitue le bédéiste.

Ici, l'héroïne navigue sur l'écume des océans dans une bulle de verre puis se retrouve coincée dan un cône d'acier au fond de l'eau avant d'atterrir en Pologne, d'y rencontrer l'amour et de s'envoyer en l'air avec son homme dans une montgolfière. Puis elle s'ennuie, s'enfuit et met le cap sur la Chine, où des millions de lépreux lubriques la poursuivent ! Impossible à monter ? Pas pour Chloé Bégou. La jeune comédienne de la compagnie Gazoline se met en scène avec quatre musiciens dans une salle de classe à l'ancienne, jonchée de vieilles (et magnifiques !) cartes de géographie. À leurs bureaux de bois, sur leurs petits bancs, deux instrumentistes classiques (violon et violoncelle) et deux plus contemporains (machines et claviers) emmènent l'actrice dans ces univers perchés.

Tout le talent de cette troupe en short et bretelle est de jongler avec le récit simple et les instants où la voix s'éraille, l'archet perd son chemin et le son se distord. De ce texte qui prend toutes les tangentes possibles et imaginables, Chloé Bégou aurait pu faire un spectacle décousu. Elle signe au contraire un travail concis (une heure) et d'une grande tenue sans en lisser le propos. Chapeau !

Nadja Pobel

Bakakaï
Au Théâtre de la Croix-Rousse, du jeudi 17 au samedi 19 avril


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Une promesse