Dans la cour

Rencontre dans une cour d'immeuble entre un gardien dépressif et une retraitée persuadée que le bâtiment va s'effondrer : entre comédie de l'anxiété contemporaine et drame de la vie domestique, Pierre Salvadori parvient à un équilibre miraculeux et émouvant. Christophe Chabert


En pleine tournée et avant même le début du concert, Antoine décide de ne plus chanter dans son groupe de rock. Plus la force, plus le moral. Après un rapide passage par Pôle Emploi, il est engagé comme gardien d'immeuble par Mathilde, nouvellement retraitée. Quelques jours plus tard, Mathilde découvre une fissure dans le mur de son appartement, et cette lézarde va devenir une obsession ; la voilà persuadée que c'est tout l'immeuble qui menace de s'effondrer. Pendant ce temps, Antoine doit faire face aux doléances des autres voisins, dont un architecte à fleur de peau et un marginal trafiquant de vélos.

Le dernier film de Pierre Salvadori rompt ainsi avec les tentatives lubitschiennes de Hors de prix et De vrais mensonges pour revenir à ses premières amours : la comédie douce-amère en forme de chronique du temps présent et, surtout, du temps qui passe. Antoine est à bout de souffle social et sentimental, Mathilde en fin de partie existentielle ; ces deux solitaires très entourés vont se prendre d'affection l'un pour l'autre, tentant de combler les vides qui les aspirent peu à peu.

Plus amer que doux

Dans la cour fonctionne sur ce courant alternatif fait de petites joies et de grandes inquiétudes, peignant une époque anxieuse sans verser dans la sociologie petit bras façon Cédric Klapisch. Deux éléments servent de garde-fous à Salvadori : d'abord le décor de l'immeuble, dont le film ne sort que pour humer l'air intemporel d'un parc pour enfants ou celui, lié au temps affectif de la mémoire, de la maison d'enfance dans laquelle Mathilde a grandi. Ce petit théâtre se peuple, scènes après scènes, de tourments et de névroses ; c'est, au sens strict, un cul-de-sac dans lequel chacun s'enferme volontairement et tourne en rond.

La réussite du film repose ensuite sur une série d'audaces, comme celle de faire rejouer sur un mode tragi-comique à Catherine Deneuve son personnage de Répulsion, ou à faire endosser au Grolandais Gustave Kervern les habits tristes — et très bien choisis par Virginie Montel, experte en iconisation du quotidien — d'Antoine, cousin éloigné du Locataire. Cette étrange parenté avec le cinéma de Polanski indique que quelque chose ronge le corps trop sain d'un film où la légèreté est contaminée par la noirceur. Celle-ci envahit la dernière partie, bouleversante et imprévisible, où la douceur fait définitivement place à une déchirante amertume.

Dans la cour
De Pierre Salvadori (Fr, 1h37) avec Gustave Kervern, Catherine Deneuve, Pio Marmaï…


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