Night moves

Kelly Reichardt suit patiemment trois terroristes écolos qui décident de faire sauter un barrage dans un thriller au ralenti où la dilatation du temps, la beauté de la mise en espace et les soubresauts des désirs qui animent le trio confinent à l'hypnose. Christophe Chabert


Au début de Night moves, Josh — Jesse Eisenberg, définitivement l'acteur 2.0, aussi lisse en apparence que trouble dans les profondeurs qui agitent ses personnages — et Dena — Dakota Fanning, à la présence sensuelle et magnétique — se rendent dans un happening d'écolos underground où est présenté un petit film expérimental et arty servant à galvaniser les militants. Kelly Reichardt, comme ses personnages, prend ses distances avec ce folklore-là, cette façon de faire de la politique sans jamais passer à l'action.

Pour Josh et Dena, rejoints ensuite par Harmon — Peter Sarsgaard — il va falloir se mouiller dans tous les sens du terme en allant faire sauter un barrage et rendre ainsi ce coin de l'Oregon à l'état de nature, loin de l'intervention industrielle et libérale ; pour la cinéaste, l'objectif est de raconter ce geste terroriste comme un thriller au ralenti, où l'acte final serait, telle la flèche dans le paradoxe de Zénon, découpé en une multitude d'actions plus petite observées avec un soin méticuleux et chargées de leur propre suspense : repérer les lieux, acheter le matériel pour fabriquer l'explosif, charger un zodiac dans une remorque…

La vraie nature du désir

Cette dilatation extrême du temps, qui rappelle celle pratiquée par Anton Corbijn dans son mal-aimé The American, s'accompagne d'une inscription extrêmement précise dans l'espace : la beauté de la mise en scène, sa capacité à captiver par-delà son parti pris de lenteur, tient entièrement dans la force du regard de Reichardt sur cette nature tantôt sculptée par l'homme — le hammam dans lequel Josh et Dena se retrouvent — tantôt laissée à sa majesté sauvage — la forêt que le trio traverse avant d'exécuter son plan.

Tout cela pourrait paraître assez froid et clinique — quoique résolument hypnotique — si Night moves ne prenait ensuite une tournure imprévue qui oblige à reconsidérer certaines séquences de prime abord anodines. Comme cette rencontre avec un campeur jovial et sympa, dont il faut calmer la sociabilité pour ne pas entraver la bonne marche de l'opération ; ou, plus discrète encore, la relation sexuelle entre Dena et Harmon, que Josh vit comme un instant de solitude et de frustration. Mais qui frustre qui ? À mesure que l'étau se resserre autour des terroristes, les désirs se commuent en pulsion criminelle et on comprend alors que derrière la tension des événements s'en cachait une autre, encore plus destructrice et explosive.

Night moves
De Kelly Reichardt (ÉU, 1h52) avec Jesse Eisenberg, Dakota Fanning, Peter Sarsgaaard…


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