Madame rêve

Dotée d'une voix insensée et de qualités d'interprète hors-normes, la lady du Colorado Josephine Foster embrume les frontières entre folk old-time, musique classique et psychédélisme tordu, pour une plongée au pays des rêves bizarres à la douceur anesthésiante. Stéphane Duchêne


Un temps, Josephine Foster a envisagé de donner sa voix à l'opéra, qu'elle commença d'étudier à l'Université Northwestern de Chicago en provenance du Colorado, avant de s'en détourner, désarçonnée par les maniaqueries du milieu. Des chanteuses de grands airs, Josephine a gardé cette voix un peu déboitée, naturellement amplifiée et corvéable à l'envie et à la fantaisie ; ce goût de la performance déclamatoire rendue à la plus intense théâtralité, de cette note qu'on va chercher coûte que coûte quitte à se mettre les cordes vocales en tire-bouchon. Car en même temps, en recouvrant sa liberté musicale, Josephine s'est débarrassée du costume corseté de conventions qui étreint tout interprète lyrique, pour mieux plonger dans les eaux vives du psychédélisme, se baigner dans le formol du folk archaïque des Appalaches et même sauter dans le vide, un néant où le temps n'a pas d'âge – on est d'ailleurs incapable de lui en donner un à elle.

La louve et l'agneau

Un jour, Josephine s'est ainsi attaquée avec une guitare à sept lieder allemands (signés Schubert, Wolf, Brahms, Schumann) auxquels elle a fait rendre la plus belle des gorges : la sienne. L'album s'appelait A Wolf in Sheep's Clothing. Une louve en habit d'agneau, voilà Josephine Foster telle qu'en elle-même, mais avec plusieurs couches de fourrure que l'on pourrait enlever indéfiniment sans parvenir à la mettre à nue. Car si sa musique paraît infiniment simple au premier abord, quasi-primordiale, elle est en réalité faite de labyrinthes, parsemée de chausse-trappes et de trompe-l'œil, la rythmique et les instruments comme à la remorque alors qu'ils vous précèdent de dix coudées.

Gravité teutonne d'une Nico, vibrato à la Joan Baez, aigus ampoulés de diva, l'ancienne chanteuse de mariage et d'enterrements serait un peu la dame du radiateur d'Eraserhead. Un radiateur en forme de corne d'abondance qui contiendrait des milliers de comptines adultes. D'airs cabaretiers en espagnolades farouches, de lieder germano-folk donc, en incantations poétiques - elle a chanté Emily Dickinson - de blues envapés en songes déglingués, les décrochés sublimes de la Dame du Colorado font invariablement penser à un alpiniste qui aurait voulu aller trop haut, puis dévissé avant de se raccrocher à un simple brin d'herbe bluegrass. Ou à ces moments de plongée dans le sommeil où le corps donne l'impression de chuter, juste parce qu'il s'abandonne.

Josephine Foster
Au Sonic, mercredi 30 avril


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