Le blanc et le Renoir


Jean Renoir avait gagné dans le cinéma français le surnom de «patron»… Pourtant, quand sort en 1939 La Règle du jeu, devenu au fil du temps le classique des classiques hexagonaux, la réception est loin d'être unanime face à une œuvre qui choisit de s'inscrire dans une descendance ouvertement théâtrale — influence de Marivaux et de Musset sur la structure de l'intrigue, jeu des comédiens poussés vers la Comedia dell'arte — et dont le sous-texte politique n'est pas aisé à déchiffrer, notamment ses références à l'actualité brûlante — la guerre est proche, le populisme gagne du terrain, le nazisme s'étend à coups d'annexions sauvages.

À l'écran, on voit un ballet amoureux où des aristocrates, des bourgeois et des domestiques se retrouvent pour une partie de chasse en Sologne ; dans chaque caste, il y a des maris, des femmes, des amants et des maîtresses, mais les choses sont soigneusement compartimentées par la topographie des lieux comme par la mise en scène. Seul Renoir lui-même dans le rôle d'Octave, le raté à la peau d'ours, caressera l'espoir — illusoire — d'échapper à sa condition.

La Règle du jeu se tient ainsi entre tradition — valets et maîtres, intrigues amoureuses — et modernité — le pessimisme du film contraste avec le rythme joyeux de ses quiproquos et de ses dialogues enlevés — définissant un "patron" pour le futur du cinéma français, où le réalisme et la théâtralité pourraient faire bon ménage. Cela s'appellera la Nouvelle Vague, et ce n'est pas pour rien que ses animateurs les plus actifs éliront Renoir comme le «patron»…

Christophe Chabert

La Règle du jeu
De Jean Renoir (1939, Fr, 1h45) avec Marcel Dalio, Nora Gregor, Julien Carette, Paulette Dubost…
À l'Institut Lumière, du 3 au 11 mai


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«Quand on parle d’un film d’auteur, les gens fuient…»