Le dernier jour de gloire est arrivé

Onze ans après sa séparation et à l'occasion de la réédition en vinyle de sa discographie, Second Rate se reforme pour cinq ultimes concerts, dont un Kao. Retour sur la fulgurante carrière de ce monument national du punk rock. Benjamin Mialot


En 1990, c'était l'heure des communications, de la médiatisation, de la conscientisation, de la socialisation, de la démocratisation et de tas d'autres concepts en "tion" sans doute piochés dans un dictionnaire terminologique. L'auteur de cette liste, Jean Leuloup, que nous nous plaisons à surnommer "le Steven Tyler de la Belle Province" (si tel est aussi votre cas, vous souffrez de prosopagnosie, bienvenue au club) a toutefois oublié le plus important : la distorsion.

Cette révolte faite pure vibration qui s'est répandue telle une fissure sismique dans les sous-sols des grandes métropoles américaines durant les années punks, a ouvert la décennie suivante des brèches d'où jaillit une avant-garde incorruptible (de Fugazi à Sonic Youth) à l'influence aujourd'hui plus décisive que jamais et a fini par creuser un gouffre qui a tout avalé sur son passage – les 90's donc, véritable Nirvana pour qui considère qu'une chanson est autant un jeu d'esprit qu'un cri primal.

En France, cette drôle de contrée où, bien que le son se propage dans l'eau salée cinq fois plus vite que dans l'air, tout se répercute avec dix ans de retard, il faudra quasiment attendre le tournant du siècle pour que ces répliques mettent au jour une scène d'accordeurs de tremblements de terre digne de ce nom. Une scène dont, curieusement, Besançon fut l'un des épicentres.

Première classe

Retour en 1998. Une poignée d'années plus tôt, l'écoute du hardcore tout autant atrabilaire que catchy d'Husker Dü, du college rock négligé et pourtant virtuose de Dinosaur Jr. et des emotrips assourdissants de Jawbreaker a eu chez Samuel Guillerand (nom de code Nasty Sammy, guitare), Sylvain Bombled (batterie et chant), Tyco (basse) et Jon (guitare), le même goût d'inconnu, de subversion et de camaraderie que le chewing-gum dans la bouche de leurs aïeux à la Libération. Au point de leur donner une envie pressante de le synthétiser à leur tour, autrement dit de trousser, en soignant autant la puissance des riffs que le taux de pénétration des refrains – mais pas trop quand même, parce que «once a punk, always a punk» et fuck le rock de solfège – une musique débrouillarde, sincère et galvanisante.

Forts d'une modeste expérience acquise au sein de groupes dont l'ambition s'est heurtée de plein fouet aux glissières de l'A36 (Gimp et Unduly, avis aux crate-diggers de l'extrême) et inspiré par les rares pionniers français de l'indépendance à haut volume qui ne donnèrent pas dans la poilade politisée type Bérurier Noir (principalement les Thugs et les Burning Heads), nos quatre futés Bisontins s'unissent sous le nom de Second Rate. La suite est une combustion spontanée digne d'un couplet de Neil Young : un premier six titres prometteur en 2000, un premier album unanimement salué l'année suivante – Grinding to Dust Two Years Somewhat Insane, d'une évidence et d'une impulsivité dignes de leurs modèles – deux changements de bassiste, tellement de kilomètres d'asphalte avalés que les membres du groupe dégueuleront des granulats jusqu'à leur dernier souffle et un sabordage par épuisement – celui de Sylvain, vraisemblablement plus soucieux de sa vie privée que le reste de la bande – en 2003, juste après la signature d'un accord de distribution avec une major.

Second coming

Onze ans plus tard, la soixantaine de tubes pète-artères qu'a légué Second Rate donne toujours autant envie de porter un vieux t-shirt de Lagwagon – Bombled a parfois le même timbre d'ado coincé dans un corps de père de famille que Joey Cape – par-dessus un sous-pull blanc et de se lancer dans la création de fanzines factieux. Et de réviser sa géographie du punk rock mélodique ascendant power pop en France. Car si Second Rate compte parmi les formations les plus cultes d'ici, il fut loin d'être un cas isolé. En ces temps où l'émulation ne se résumait pas à du partage de liens, nombreux furent en effet les groupes qui s'imposèrent comme la voix étranglée de la bourgeonnante Génération Y bien de chez nous, de Seven Hate (Poitiers) à Sixpack (Saint-Étienne) en passant par Dead Pop Club (Paris), Sexypop (Angers), Uncommonmenfrommars (Serrières), les Bushmen (Limoges) ou les Flying Donuts (Épinal), lesquels précéderont d'ailleurs Second Rate sur la scène du Kao pour y interpréter en intégralité leur tout premier album – Last Straight Line, un sommet de heartland hardcore buriné à la Hot Water Music.

Autant de compagnons de route et de studio et bien plus d'héritiers encore – Nasty Sammy, l'âme DIY du regretté quatuor, en fait tourner une demi-douzaine à lui seul, dont le très heavy et très Z Black Heart Zombie Procession et le tout aussi Z mais plus hawaïen Demon Vendetta – que fédèrent en grande partie le label toulousain Kicking Records. C'est lui qui a eu l'idée de rééditer en une édition vinyle très limitée (300 exemplaires !) toute la discographie de Second Rate et a convaincu la bande de remettre le couvert pour cinq dates testamentaires. Elles seront notamment l'occasion d'entendre pour la première et la dernière fois en live les morceaux de son forcément plus urgent et plus brut deuxième album (dont sa furieuse reprise du thème des Cosmocats ?), paru à titre posthume. Il s'appelait Last Days of Glory et n'aura jamais aussi bien porté son titre.

Second Rate [+ Flying Donuts + Directors Cut]
Au Kafé, vendredi 2 mai


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