Quelque chose en eux de Düsseldorf

LUCA, acronyme de Last Universal Common Ancestor, soit "dernier ancêtre commun universel", est l'organisme, inconnu à ce jour, dont descendraient tous les êtres vivants actuels. Kraftwerk est son équivalent pour la musique électronique : tous les DJs programmés à Nuits Sonores ont une dette envers lui. Ces dix-là l'ont payée avec les intérêts. Benjamin Mialot


Darkside

L'un, Nicolas Jaar, producteur dont la nonchalance n'a d'égal que le raffinement, est à la house ce que la Nouvelle Vague fut au cinéma. L'autre, Dave Harrington, multi-instrumentiste, était jusqu'ici unsideman sans histoire. Ensemble, ils forment Darkside, nom choisi en hommage à Pink Floyd (dont les membres revendiquaient l'influence de leurs amis de Kraftwerk) mais qui aurait tout autant pu l'être en clin d'œil à la Force – voir Daftside, remix bête, méchant et in fine assez jouissif du dernier album de Daft Punk. Psychic, leur premier album, est lui, avec ses licks bluesy et ses artefacts lynchiens, un petit chef-d'œuvre d'electronica à la dérive.

Nuit 1 – Halle 1
A l'Ancien marché de gros, mercredi 28 mai (23h45/00h45)

Daniel Avery

La musique de Kraftwerk était le reflet d'une humanité en voie de mécanisation. La techno de l'Anglais Daniel Avery pourrait être celui d'une humanité en passe d'atteindre la Singularité, ce stade d'évolution technologique si avancé qu'il est aujourd'hui inconcevable. Sur Drone Logic, le premier album de ce jeune protégé d'Erol Alkan et digne dauphin d'Andrew Weatherall – ses productions, comme celles du témoin de l'explosion acid house, débordent d'une urgence rock – on entend ainsi des divas dématérialisées, des textures aux airs d'acouphènes robotiques et des mélodies pensées comme des rêveries électriques. Et c'est souvent magnifique.

NS Days jeudi – Salle 1960
A la Sucrière, jeudi 29 mai (19h/21h)

Gold Panda

Le mot zénitude venant de faire son entrée dans les pages du Larousse, le moment est tout trouvé pour réécouter Lucky Shiner (2010), le premier long de Gold Panda. Une merveille de micro-house béate dont les mélodies ancestrales et arrangements de haute technologie peignent les contours d'une Asie où les bonsaïs seraient plus grands que les centrales nucléaires – renversement que Kraftwerk appelle de ses vœux sur Radio-activity, qu'il a même remixé en 2012 pour une commémoration de l'incident de Fukushima. Bonne nouvelle : son successeur, Half of Where You Live, est tout aussi serein et astucieux.

NS Days vendredi – Salle 1960
A la Sucrière, vendredi 30 mai (20h/21h)

Oneohtrix Point Never

Imaginer une musique futuriste à partir d'instruments datant des prémices de l'informatique, le Brooklynite d'adoption Oneohtrix Point Never ne fait que ça depuis sept ans. Son inspiration, ce n'est toutefois pas dans les épures antidatées de Kraftwerk qu'il l'a puisée, mais dans les jams fourre-tout du Mahavishnu Orchestra – la version indigeste du krautrock, d'une certaine façon. Il n'en a heureusement gardé que l'esprit d'aventure, socle d'albums à contraintes (sur Replica, en 2011, il samplait des publicités du tournant des 90's) d'une complexité et d'une beauté aussi inexplicables que ceux de Flying Lotus ou Aphex Twin.

Nuit 3 – Halle 1
A l'Ancien marché de gros, vendredi 30 mai (23h15/00h15)

Fuck Buttons

Deux Anglais qui tripotent des machines. Voilà Fuck Buttons résumé en une phrase. Même pas un petit cosplay de Tron, rien. Il faut dire qu'Andrew Hung et Benjamin John Power ont tout investi dans la maçonnerie : évoquant d'un même mouvement un peu autiste les supplices d'Aphex Twin et les élans de Mogwai – et, sur le plan rythmique, Kraftwerk avec un tour de biceps de 70 cm – les murs du son qu'ils élèvent sur scène sont d'une puissance et d'une épaisseur à faire passer Phil Spector pour François Léotard. «Pour l'amour de la planète Terre, tous les humains doivent mourir» scandent-ils au sommet de l'un d'eux. Apparemment d'une perforation tympanique.

Nuit 3 – Halle 1
A l'Ancien marché de gros, vendredi 30 mai (00h45/01h45)

Robert Hood

2000 : l'incorruptible label Underground Resistance publie une collection de remixes d'Expo 2000, jingle composé un an plus tôt par Kraftwerk pour la foire internationale du même nom. 2002 : Kraftwerk en incorpore un condensé à ses concerts. L'anecdote en dit long sur ce que Robert Hood, co-fondateur de UR avec Mike Banks et Jeff Mills, doit aux automates allemands. Elle en dit autant sur l'héritage que léguera ce génie de la techno cinématographique et hasardeuse – son dernier album, Motor, est un peu son Tour de France, avec des bagnoles et les suburbs en déréliction de Detroit à la place des vélos et de la campagne française.

Nuit 3 – Halle 1
A l'Ancien marché de gros, vendredi 30 mai (02h00/03h00)

Four Tet

A sa manière, Kieran Hebden alias Four Tet, trente-quatre ans dont seize de carrière, est un peu le Kraftwerk de sa génération. Du moins si l'on se réfère à l'empreinte monumentale que son œuvre a laissé sur ses pairs et le nombre de vocations, de volte-face aussi (Radiohead en est un exemple parmi d'autres) qu'elle aura suscitées. Et ce que l'on parle de musiques électroniques – au sens large – de pop, de rock, de folk, de jazz, de hip hop. Autant de styles auxquels il s'est lui-même nourri (de Sun Ra à Mudhoney, de Tortoise à Neu!) pour fomenter dans le secret de sa chambre sa révolution musicale et sonore, qui en laissa plus d'un sur le flanc.

Nuit 3 – Halle 2
A l'Ancien marché de gros, vendredi 30 mai (01h30/04h00)

Rustie

Rustie, de son nom de baptême Russell Whyte, est originaire de Glasgow. Pourquoi, alors, n'est-il pas programmé dans la Carte blanche dédiée à sa ville ? Peut-être parce que sa musique, d'une effronterie et d'une érudition fichtrement contemporaines, en cela qu'elle agglutine tout et n'importe quoi – R'n'B pailleté, hip hop salace, trance vidéoludique et même prog rock masturbatoire (dont le krautrock est, rappelons-le, un cousin plus porté sur la chose cérébrale) – en des hymnes à la régression aussi fascinants que douteux, aurait éclipsé ses compatriotes. A l'exception du tout aussi doué Hudson Mohawke, s'il avait été de la partie.

Nuit 3 – Halle 2
A l'Ancien marché de gros, vendredi 30 mai (04h00/05h00)

Labelle

Morgenspaziergang, le seul titre de Kraftwerk qualifiable de bucolique, déboule à la fin du bituméAutobahh comme une adventice jaillit d'un trottoir. Chez Labelle, de telles trouées organiques sont monnaie courante. Et pour cause : avec une application toute artisanale – il travaille notamment à partir des archives ethnomusicales de Radio France, qu'il découpe note par note – ce jeune Réunionnais entrelace la techno des pères fondateurs et les musiques d'émancipation de ses ancêtres (en tête le maloya), en une transe dont la majesté rivalise parfois avec celle des expérimentations tintinabulantes de Pantha du Prince. Sans doute la révélation de cette édition.

Nuit 3 – Halle 3
A l'Ancien marché de gros, vendredi 30 mai (04h00/05h00)

Trentemøller

Au Danemark, on n'a ni volcan ni glace, mais on fait comme si. Un balayage de la discographie deTrentemøller suffit à s'en rendre compte : une forêt hivernale sur la pochette de son inaugural Last Resort, une nuée ardente sur celle de son successeur, Into the Great Wild Yonger, et à l'intérieur de chaque, une musique techno-organique et syncrétique (techno donc, mais aussi dub, electronica, pop, ambient...) plus taillée pour les reliefs contrastés de l'Islande que pour les paysages quiets du pays d'Andersen. Tirant sur le rock, son dernier album en date, Lost, est à l'avenant : tour à tour aussi délicat que du Boards of Canada et menaçant comme du Nine Inch Nails. Et en tout point fantastique.

Nuit 4 – Halle 1
A l'Ancien marché de gros, samedi 31 mai (01h00/02h00)


<< article précédent
Vincent Dedienne à la salle Victor Hugo