Tristesse Club

Premier film sous influence Wes Anderson à l'humour doucement acide de Vincent Mariette, où deux frères et une sœur partent enterrer un père/amant devenu un fantôme dans leur vie, pour un road movie immobile stylisé et séduisant. Christophe Chabert


Dans Tristesse Club, comme dans tout bon road movie, une voiture tient un rôle décisif : c'est une vieille Porsche et elle appartient à Léon, ancien tennisman tombé dans la lose intégrale, plaqué par sa femme et méprisé par son propre fils de dix ans, à qui il essaie pathétiquement de taxer de l'argent. Cette voiture, c'est un peu la dernière chose qu'il possède dans l'existence, et il s'y accroche comme à une bouée de sauvetage face au naufrage de sa vie. Ladite Porsche va servir à beaucoup de choses au cours du film : par exemple, elle se transformera en abri protecteur contre une meute de chiens errants, ou d'issue de secours pour échapper à la rancœur ambiante.

Car Léon a rendez-vous avec son frère Bruno pour enterrer leur père, qu'ils n'ont pas vus depuis des lustres et avec qui ils entretenaient des rapports opposés : houleux pour Léon, résignés pour Bruno. Les choses s'enveniment encore lorsqu'ils font la connaissance d'une demi-sœur dont ils ignoraient l'existence. Elle leur avoue que leur père n'est pas mort ;  il a juste disparu sans laisser de traces.

Le deuil d'un fantôme

Voilà donc un trio de comédie formidablement constitué, notamment grâce à un casting astucieux qui réunit Laurent Lafitte, hilarant en raté grincheux et cynique, Vincent Macaigne, qui optimise son rôle de timide lunaire et maladroit, et Ludivine Sagnier, qu'on n'avait pas vue aussi bien servie à l'écran depuis longtemps, en fille libre et extravertie, cash et gentiment manipulatrice. Ensemble, ils vont devoir faire le deuil d'un fantôme, c'est-à-dire lui trouver sa juste place dans leur vie.

Vincent Mariette réussit pour son premier long à s'affranchir en douceur d'une tutelle elle aussi écrasante : celle de Wes Anderson, dont Tristesse Club mixe les intrigues de La Famille Tenenbaum et du Darjeeling Limited, et à qui il n'hésite pas à emprunter une certaine stylisation dans la mise en scène. Le film trouve toutefois sa propre voie, notamment en multipliant les digressions, comme ce voisin débonnaire et sa fille tendance Lolita ou la rencontre hilarante avec des jeunes éméchés partis pour un bain de minuit dans un lac qui semble tracer une frontière mystérieuse et infranchissable à l'action. Mariette possède ce talent pour faire entrer de l'acidité et de l'inquiétude dans un film au demeurant alerte et vif, et pour transformer ces trajets immobiles en trajectoires émouvantes.

Tristesse club
De Vincent Mariette (Fr, 1h30) avec Ludivine Sagnier, Laurent Lafitte, Vincent Macaigne…


<< article précédent
The Rover