Vie et mort des sculptures

La galerie Snap présente pour la premières fois à Lyon des œuvres du jeune artiste pluridisciplinaire Ugo Schiavi. Des œuvres traversées de pulsions de vie et de mort, et qui esquissent déjà un cheminement artistique prometteur. Jean-Emmanuel Denave


Est-ce un mur d'escalade trop usité ? Est-ce un décor de théâtre ou un fond de studio photographique écroulé ? La grande sculpture en argile crue d'Ugo Schiavi barre le regard de sa masse craquelée et de ses cinq mètres de haut et de large. Face Nord représente concrètement le défi montagneux de bien des alpinistes qui s'attellent au "toit du monde", avec une sorte de visage plissé qui grimacerait presque de douleur ou d'ironie. «L'argile crue, en séchant, blanchit et se rétracte, créant de nombreuses fissures sur toute la surface. Certains morceaux se décrocheront. La sculpture évolue, se modifie, et s'altère pendant la durée de son exposition. L'œuvre acquiert alors un statut bâtard : entre élément de décor en ruine et volume d'entraînement pour alpinistes à l'ambition déchue. » écrit Ugo Schiavi. Derrière le "visage" de la sculpture, on découvre en effet l'armature de bois qui la soutient, l'envers du décor qui fait partie intégrante de l'œuvre. Formé à la Villa Arson à Nice, âgé de 27 ans, Ugo Schiavi a déjà réalisé plusieurs sculptures éphémères, vouées à la destruction, ou bien s'est essayé encore à quelques performances en escaladant des sculptures publiques monumentales (comme celle de Tony Cragg aux Tuileries à Paris), tentant ainsi d'approcher l'art moderne ou contemporain "à mains nues", redonnant ainsi sensibilité et fragilité à celui-ci.

Détruire dit-il


Cette fragilité ou ce principe d'entropie se retrouve dans deux autres œuvres du jeune artiste, exposées dans le second espace de la galerie. Pour son ironique Principe de précaution, Ugo Schiavi a placé la photographie couleur d'une antenne relais de téléphonie mobile (camouflée en gigantesque pin artificiel !) sur une cabine de bronzage. Au-delà du clin d'oeil à Jeff Wall et à ses images sur caisson lumineux, les rayons ultraviolets nocifs à la santé de l'œuvre détruiront peu à peu la représentation d'un élément technologique lui-même dangereux... Un peu plus loin, on découvre Fontaine (en hommage à Marcel Duchamp), sculpture minimaliste qui rappelle de loin en loin les fontaines à eau des bureaux d'entreprise : une bonbonne de verre renversée sur un volume de métal minimaliste se vide peu à peu de son liquide en s'accompagnant de quelques "glou glou" étranges et réguliers, avant de se remplir à nouveau. Entre objet de design et ready-made, vanité classique et esthétique minimaliste,  Fontaine vit et meurt sous notre regard hypnotisé. La sculpture ou l'objet d'art sont avec Ugo Schiavi des entités vivantes, sensibles et soumises à la finitude.


Ugo Schiavi

A la galerie Snap, jusqu'au 21 juin


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