Cutter's Way, le rêve américain estropié


Cette semaine débute au Comœdia un réjouissant programme de reprises estivales avec, pour lancer l'opération, le très bon Cutter's Way, redécouvert lors du festival Lumière 2013. Signé Ivan Passer, un des artisans de la Nouvelle Vague tchèque aux côtés de Menzel, Herz, Jasny et surtout Forman, il n'a guère connu la gloire suite à son transfuge à Hollywood. De sa filmographie boiteuse surgit donc ce film tout à fait étrange tourné au crépuscule du Nouvel Hollywood (1981) et qui en conserve l'esprit — et même parfois le parfum visuel, grâce aux images mélancoliques de Jordan Cronenweth.

À savoir, empoigner les mythologies américaines — ici, celle du faible qui va défier le fort pour rétablir la justice — en en tordant les codes de représentation : le héros, Cutter (John Heard), est un vétéran revenu du Vietnam avec une jambe, un bras et un œil en moins, ainsi qu'avec un penchant marqué pour la bouteille et l'autodestruction. Cet éclopé n'a plus que deux personnes à qui se rattacher : son pote Bone (Jeff Bridges), Viet-vet lui aussi, mais nettement plus équilibré, et sa femme Mo, qui supporte tant bien que mal ses excès et son nihilisme. Passer va les emmener dans une intrigue de thriller particulièrement nonchalante, ainsi que dans une valse sentimentale où ces laissés-pour-compte du rêve américain tentent de trouver une vraie raison de vivre.

Tourné dans l'exotique décor de Santa Barbara, Cutter's Way fourmille ainsi de détails hispanisants, au point d'apparaître comme une version tordue du Don Quichotte de Cervantes, où deux preux chevaliers aveuglés par un soleil illusoire enfourchent leur monture pour s'attaquer à des moulins à vent capitalistes. Plus dure sera la chute…

Christophe Chabert

Cutter's way
D'Ivan Passer (1981, ÉU, 1h49) avec John Heard, Jeff Bridges…


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