Trésor National

Si The National n'est pas le meilleur groupe du monde – méfions-nous, ce n'est pas impossible – il en est le plus fascinant. Oscillant entre blizzard glacé du détachement et orages de chaleur humaine, et trouvant au milieu un chemin de croix rock de toute beauté. Stéphane Duchêne


«Si les National étaient noirs, ce serait du blues. Mais c'est du cafard à la mie de pain blanc, spleen vieille Europe déracinée» écrivait l'an dernier ce brave Bayon à l'occasion de la sortie du déceptif (pas pour lui) Trouble Will Find Me. C'était aussi le cas de Joy Division, gang de blues blafard au groove épileptique dépigmenté par l'atmosphère grassement grise d'une Manchester pas encore Mad.

Coincée sur la route du blues entre Chicago, Léviathan du Midwest, Saint-Louis, la porte d'entrée de l'Ouest, et le Nord-Est industriel, Cincinnati, ville natale de The National, n'a rien à envier à la cité de briques des Midlands – ce nœud fluvial a perdu la moitié de ses habitants en soixante ans du fait de l'avènement du rail. C'est une très jolie ville où personne ne va jamais et où il vaut mieux aimer le baseball. Pas le genre à valider des destins donc.

De Cincinnati, rapidement évacuée à l'heure des études, d'abord par Matt Berninger et Scott Devendorf, puis par leurs cadets, Bryan Devendorf et ses potes les jumeaux Dessner, les National ont ramené un élan maussade qui comme les vents du Midwest peut se transformer en rage et ravager la plaine. Des histoires d'amour, de vie, de rien, de province, qui font les grandes chansons une fois façonnées en contes universels dans le secret d'un laboratoire brooklynite. Springsteen avait un don pour ça.

 

Boxer

Or quand Matt Berninger, ce Mr November aux cheveux blonds comme une moisson de septembre lui emprunte son Mansion on the Hill (sur l'EP Virginia notamment), c'est à se jeter sous un camion. Ce n'a jamais été davantage du Springsteen et pourtant c'est tellement du National.

Déjà auteur de six albums, de plus en plus obligé par les contraintes familiales, de plus en plus excentré par les projets parallèles des uns et des autres – les Dessner en tête – on peut penser que The National a connu son climax discographique. Qu'ils n'écriront pas un deuxième Boxer. Oui, High Violet, son successeur, était un grand album, comme le précédent, Alligator. Mais Boxer était l'Album, ce disque parfait qu'on avait senti bouillir rien qu'en écoutant quelques passages de ses prédécesseurs (Lucky You, About Today, Abel...) et qui portait déjà en lui sa propre nostalgie – comme définitivement accouchée sur l'EP Virginia cité plus haut.

 

Sur scène, en revanche, le quintette de Brooklyn semble en perpétuelle ascension – même précédé d'un chemin de croix. Porté sur les ailes des Dessner, guidé par Bryan, meilleur batteur du monde, le double mètre acrobate de Berninger se plie et se déplie comme on convulse, chancelle en boxer ivre, gronde, la voix repeinte de bile comme un dieu nordique trahi, ou croone ses propres mots dans l'espoir peut-être de les voir, sous le charme, se changer si ce n'est en bonne nouvelle, du moins en accord de grâce. Sur scène donc, The National ne livre pas de concerts de rock mais de grandes communions post-blues sur lesquelles déjà plane le spleen de l'après.

 

 

The National [+James Vincent McMorrow]
Aux Nuits de Fourvière, lundi 28 juillet


<< article précédent
Winter Sleep