Le corps dans tous ses états

Des images du corps au corps des images, les expositions de la rentrée font vaciller, danser, se métamorphoser la figure humaine. Et certains artistes, comme Céline Duval ou Erro, vont jusqu'à insuffler une seconde vie aux images elles-mêmes... Jean-Emmanuel Denave


En Avignon, dans une prison désaffectée, des œuvres d'art contemporain ont remplacé les corps dans les cellules et les couloirs (dans le cadre de l'exposition La Disparition des lucioles, jusqu'au 25 novembre). En 2010, au Musée d'art moderne de New York, Marina Abramovic est restée trois mois assise, silencieuse, face au public (le film sur Abramovic The Artist Is Present est projeté au Comoedia, ce dimanche 21 septembre à 11h15). Le corps d'Abramovic remplace cette fois-ci l'œuvre d'art. Comme si, dans ces deux exemples, l'œuvre et le corps étaient interchangeables, la première ne représentant pas seulement l'autre, mais l'un valant l'autre, l'un allant, à la limite, jusqu'à se confondre avec l'autre. On ne vous apprendra certainement pas grand chose en soulignant ici les liens serrés et essentiels entre le corps humain et l'œuvre d'art, mais cette proximité connue vaut la peine d'être rappelée à l'heure lyonnaise où la Biennale de la danse suit le fil de la performance, et où nombre d'expositions de la rentrée auront pour enjeu, d'une manière ou d'une autre, le corps.

Le jeune artiste Tom Castinel par exemple (au CAP de Saint-Fons jusqu'au 31 octobre) ira même jusqu'à se frotter à la danse et à ses antécédents rituels (danse tribale, transe) à travers des œuvres aux matériaux pauvres et réalisées sur les principes du remix, du collage, du sampling. La danse est d'ailleurs aussi à l'honneur du dernier numéro de la belle revue de l'Ecole des Beaux-Arts, Initiales, consacrée à la communauté utopique la Monte Verita au début du XXe siècle. Et c'est tout un vocabulaire corporel fait de gestes, de rituels et de réflexes qu'explore à la BF15 (jusqu'au 8 novembre) l'artiste espagnole Mireia C. Saladrigues.

Images du corps

«Pour moi la photographie est une ressemblance sans modèle, elle ne reproduit pas, elle produit. Son seul sujet est l'état d'âme du photographe. Les états d'âme ne sont ni des notions, ni des concepts, ce sont des formes visibles qui trouvent sur la surface des papiers le support de leur présence : une montée depuis le fond, le paraître des images en attente qui me hantent» écrit le photographe lyonnais Jacques Damez. Dépôt de temps et de sensations, l'image prend corps pour Jacques Damez dans un espace autre, celui de l'œuvre. Elle prends corps tout particulièrement dans sa série de nus (au Réverbère jusqu'au 27 décembre) qu'il poursuit depuis plusieurs décennies : «le nu, sans relâche, se met à nu et lutte avec sa fragilité, avec la peau de son secret. Cette surface exposée est posée hors d'elle, à fleur de peau, là où le corps se fait image, où il sort de lui, où il s'excède. Le nu est un lieu sans confin, ni positif, ni négatif, c'est l'espace du doute et du silence, du secret et du caché, il ne se regarde pas, il opère sur nous une prise de vue»...

A la galerie Domi Nostrae, nombre d'artistes travaillent aussi ce lieu du corps et de la figure humaine pour en imaginer d'autres configurations, métamorphoses, perceptions. Depuis 1993, la photographe Laurence Demaison triture ainsi sa propre image à travers d'étranges autoportraits, entre beauté et frayeur, exubérance et disparition. Elle présentera une trentaine d'images du 12 novembre au 17 janvier.

Corps des images

«Cela commence par le découpage. Je découpe très bien, très net. J'utilise des ciseaux de Thiers très précis pour couper les cheveux les meilleurs» déclare Erro, décrivant sa manière de traiter des images existantes pour réaliser ensuite des collages et, éventuellement, de grandes peintures. Avec lui, il ne s'agit plus du corps comme motif, mais d'une chirurgie et d'une plongée artistique dans le corps même des images contemporaines, dans leur anatomie et leur physiologie, leurs vitesses et leurs textures. «Anticipant, écrit de lui Thierry Raspail, le directeur du MAC, qui consacre à Erro une vaste rétrospective du 3 octobre au 22 février,  quelque trente ans avant notre monde de réseau, de mails, de chats et de tweets, il crée le collage-blog avant l'heure».

Si les images avec Erro acquièrent leur propre "corporéité", alors on peut aussi leur accorder un devenir, un "vieillissement". C'est sur cette idée de "deuxième vie de l'image" que la galerie Le Réverbère organisera une exposition collective en janvier 2015. A l'Espace Arts Plastiques de Vénissieux, Céline Duval exposera quant à elle La Stratigraphie des images, du 20 septembre au 15 novembre, un travail consistant dans l'écriture-montage d'images amateurs existantes. Elle y présentera aussi un livre d'artiste faisant explicitement référence au film Une femme mariée de Jean-Luc Godard, qui explore... le rapport entre le corps et l'image du corps.


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