Chronique d'une Biennale 2/3

Quelques petites déceptions encore cette semaine, mais le chef-d'œuvre "Sounddance" de Merce Cunningham et "Ply", la création âpre et singulière de Yuval Pick, nous ont restitué notre enthousiasme pour la danse. Jean-Emmanuel Denave


Mélange des genres et mélange des époques au programme du Ballet de Lorraine, avec cette question sous-jacente : qui des anciens (Picabia et Satie en 1924), des modernes (Merce Cunningham en 1975) ou des contemporains (le jeune Noé Soulier en 2014) a produit la pièce la plus "barrée", la plus osée ? On aurait volontiers parié a priori sur le Dadaïste Picabia mais Relâche, qui fut certainement provocateur et rafraîchissant à l'époque (avec des danseurs dans la salle, une infirmière à barbe...) s'avère aujourd'hui assez ennuyeux et "muséal". Seul le film foldingue de René Clair (Entr'acte, projeté en plein milieu de la pièce) sauve les meubles et nous embarque dans une blague surréaliste aux effets de montage et de mouvements de caméra aujourd'hui encore surprenants ! Le montage, le démontage et le remontage, c'est aussi le "truc" de Noé Soulier, qui s'empare des codes de la danse classique pour les déstructurer, les cogner les uns aux autres, les accélérer ou les ralentir. Sa création Corps de ballet contient bien des idées mais ici encore à l'état de friche, de recherche inaboutie... La pièce la plus folle, et même carrément géniale, s'est révélée être celle de Merce Cunningham (1919-2009), Sounddance. Un chaos de sons et de mouvements d'une vingtaine de minutes où le chorégraphe américain s'en donne à cœur joie dans l'éclatement de la scène, la dispersion des danseurs et de leur gestuelle, à la fois machinique et volatile (et ultra complexe derrière une apparence facétieuse).

Danser par le milieu

Si chez Cunningham, le mouvement est fait de beaucoup d'oscillations et de bascules, il est chez Yuval Pick, dans Ply, fait de gestes cognés, hachés, âpres, partant du bassin de ses cinq interprètes. Il s'agit ici non pas de défier la pesanteur ou de travailler au sol, mais d'évoluer au centre, à la périphérie, sur un plan horizontal mitoyen peu exploré en danse (qu'on pourrait résumer par un "ni les jambes, ni les bras"). Le début de la pièce est pour le moins rude, presque revêche : les danseurs semblent tenter de se dépêtrer d'une bulle invisible par des mouvements coupés à la serpe plus proches de l'idée de combat que de grâce. Ouvrir, élargir les contours de son individualité se fait ici dans l'effort et la difficulté, et les "échecs" sont nombreux. La création musicale (superbe!) de l'Américaine Ashley Fure aide le spectateur à fluidifier ces séquences fragmentées, ces tentatives recommencées, cette gestuelle inhabituelle. Ses accélérations ou ses modulations invitent parfois les danseurs à se toucher ou à évoluer ensemble un bref instant. C'est alors presque un moment de joie dans cette pièce abstraite (au sens où elle ne figure ni ne raconte rien d'habituel, et se déroule souvent sur un plateau monochrome blanc) et sous haute tension.

16e Biennale de la danse
Jusqu'au mardi 30 septembre


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L'Auditorium à la fête