Demande à la poussière

A la galerie Néon, les œuvres de Marzia Corinne Rossi, à travers des formes simples et des matériaux singuliers, redonnent vie à l'art et aux sensations sur fond de ruines et de destruction. Jean-Emmanuel Denave


L'artiste italienne Marzia Corinne Rossi (née en 1984) a imaginé son exposition à Néon comme une déambulation en spirale autour d'un singulier totem nommé Flesh Out ("développer", "étoffer" en anglais). Celui-ci semble constitué d'un assemblage de poteaux en bois d'une hauteur de quatre mètres environ, mais il s'agit en réalité de longs rouleaux de papier de verre recouverts de pigments. Un matériau des plus singuliers qui sert à l'artiste «de substitut à la porosité particulière des murs ou du sol». Cette surface râpeuse, étrange, est ici moins utilisée pour ses connotations agressives que pour ses propriétés physiques avec les pigments, pour sa peau. Tout à la fois s'enroule et se déroule donc à Néon : autour de Flesh Out, on découvre sur les cimaises des paysages abstraits eux-aussi en papier de verre et encadrés de ciment ! Le moi-peau de l'artiste déplie ses enveloppes, égrène sa pigmentation, ouvre son imaginaire et sa mémoire... Marzia Corinne Rossi insiste d'ailleurs sur le rapport de ses œuvres à son propre corps qui y est engagé, avec ses capacités et ses faiblesses, en se confrontant à l'architecture de l'espace du centre d'art.

Phénix

La peinture elle-même (re)devient corps, corpuscules, pulvérulence. Pour une création de 2012 (et que l'on peut retrouver sur son site, très documenté  : www.marziacorinnerossi.com), Marzia Corinne Rossi avait recouvert de pigments colorés des débris de murs lépreux jonchant le sol. Comme si la peinture des fresques de Giotto ou de Fra Angelico par exemple, s'était effondrée, réduite alors à quelques atomes picturaux. Plus qu'une esthétique de la ruine, c'est presque une esthétique de la poussière, du grouillement informe et organique de la matière. En quelques œuvres formellement simples, l'artiste peut prendre en écharpe toute une histoire de l'art et de références anthropologiques : de l'empreinte des grottes préhistoriques à l'installation-architecture contemporaine en passant par la ruine romantique, la peinture classique italienne, l'abstraction et le minimalisme modernes... A Néon, on entrevoit ainsi l'entrecroisement de la représentation paysagère occidentale avec le totémisme animiste ou la peinture pariétale. L'artiste confie, avec humour, faire des «œuvres Frankenstein» assemblant des influences très larges. Les créations de Marzia Corinne Rossi prennent à bras-le-corps quelques fondamentaux de l'art et de l'existence humaine, et font littéralement renaître beauté et émotion de leurs cendres.

Marzia Corinne Rossi
A la galerie Néon, jusqu'au 29 novembre


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Parenthèses désenchantées