Fondu au blanc

Nouvel exemple de cette vivacité résiliente propre à la diaspora musicale lorraine, Grand Blanc frappe très fort avec son EP "Degré Zéro" – et des concerts fiévreux. Entrechoquant avec fracas une langue virevoltante héritée de Bashung et une cold wave post-sidérurgique. Stéphane Duchêne


Sur la pochette de l'EP Degré Zéro (oeuvre du tatoueur lyonnais All Cats Are Grey), une gravure fait cohabiter sur quelques centimètres carrés la centrale nucléaire fumante de Cattenom, des cheminées d'usine fracassées, une grue de crassier, le Temple-neuf surmonté d'une Croix de Lorraine et le bon Saint-Clément sur le point de faire sa race au Graoully, légendaire dragon messin mangeur d'enfants barbotant dans la Seille.

Le tout sous les yeux d'un astre froncé qui ne semble guère augurer de lendemains qui chantent. En bons Messins exilés à Paris, les quatre membres du groupe se seraient rencontrés Gare de l'Est, le spot où tu peux même te faire mettre la misère par Nadine Morano en attente d'une Micheline pour rentrer décongeler des nouilles à Toul.

Surtout, il ne s'est jamais départi, comme l'indique la superbe illustration précitée, d'une sorte de blues post-sidérurgique largement atavique. Le même que l'on retrouve chez Marie-Madeleine ; une partie du collectif DIY de La Grande Triple Alliance Internationale de l'Est (comme Noir Boy George) ; le Clouangeois Kidsaredead (petit génie multi-cartes dont l'album est à venir) et beaucoup moins chez Cascadeur qui semble bien au-dessus de tout cela (mais a quand même mis un casque, on ne sait jamais).

Petites frappes

Grand Blanc, lui, arrache du bitume dans l'air vicié, joue les Petites frappes locales – en métaphore footballistique – façon Feu ! Chatterton déglingué, dépouille de Fauve en chat crevé. Le clip de Degré Zéro c'est Gummo versus P'tit Quinquin en zone post-Plan Acier dé-Mitallisé : mob' d'un autre âge, usines trouées, terrains gravement vagues, cruising en tas de tôle et trognes de lose congénitale finies à l'antigel. «J'ai ta gueule de brise-glace plantée dans ma vitrine» chante Camille Delvecchio, qui partage le micro mixte avec le troublant Benoît David, mi-Vincent Cassel déclassé, mi-Bashung gitan et sacrément lettré.

Un Bashung dont Grand Blanc passerait les mots au rabot à guitares, la plume à l'acier en fusion d'une cold wave promettant enfer et damnation, ivre d'allitérations : «Tu m'fais ta mascarade avec ton mascara / J'ai raté la parade je t'en prie raconte-moi / Je voulais te maudire je repars sans mot dit / Je m'en perds je m'empire» sur Samedi la nuit. La comparaison est facile, même si osée, mais l'on pense à ce Manchester qui avant de devenir Mad dégueulait du coal et du khôl. Grand Blanc, pas plus que ses "compatriotes", ne porte de blouson tagué en son dos du mot Hate. Il est simplement de cette génération qui ne sait trop que faire de ce no man's land qu'on lui a légué. Et qui en rit avec gravité. Ni premier, ni second degré : degré zéro.

Grand Blanc [+ Blind Digital Citizen]
Au Sonic jeudi 6 novembre


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