Putain d'usines

Les plus anglophiles des collectifs électro lyonnais unissent leurs forces pour célébrer les dix ans du label londonien Perc Trax, fer de lance d'une techno abrasive et sans concession. Casque de chantier et chaussures de sécurité exigés. Benjamin Mialot


Hasard du calendrier, l'année où Bernard Arnault inaugure la Fondation Louis Vuitton par une série de concerts rétrospectifs de Kraftwerk est aussi celle du dixième anniversaire de Perc Trax. Le rapport avec le rock choucroute ? Là où la musique de Ralph Hütter et ses duplicatas prophétisait l'avènement des machines, celle que promeut le label londonien semble au contraire accompagner leur fin de vie, jusqu'au moment où, obsolètes ou définitivement en panne, elles ne seront plus bonnes qu'à titiller les glandes surrénales des explorateurs urbains ou, dans le pire des cas, à être exposées comme reliques dans des musées d'entreprise – et Dieu sait qu'on ne pensait pas voir si tôt les robots de Düsseldorf dans la vitrine de LVMH.

Turbines rongées par l'acide (celui qui goutte en mélodies à résonance altérée sur les titres de Truss), carrières aux boyaux dénaturés par des graffitis wildstyle (Happa, dix-sept ans à peine et déjà un sens du groove à toute épreuve), sous-marin en rade reconverti en laboratoire d'amphétamine (que le duo AnD doit confondre avec des céréales) ou tours de refroidissement ouvrant sur des cieux blêmes (et d'où les vapeurs gothiques du frenchy Mondkopf, pièce rapportée de qualité s'il en est, pourraient s'élever en autant de mauvais présages), c'est ainsi toute une géographie de la désolation industrielle que dessine Perc Trax.

London calling

Mais aussi, bien sûr, une géographie de la techno. Des kicks de plusieurs tonnes pour montagnes, des saturations pour sédiments et des samples désincarnés pour indices de population, tel est le monde, par endroit frontalier de l'ambient, du dub et de la noise, que sillonne depuis ses débuts Alistair "Perc" Wells, le ferrailleur en chef de la bande. Et il ressemble étrangement au nôtre.

Là-bas aussi, en particulier sur Wicker & Steel et The Power and the Glory, les deux albums de cette tête de lad patentée – en comparaison, la perpétuelle poker face de Ben Klock est un sourire forcé – les politiciens se comportent comme des hyènes (le ricanant et chaotique David & George, adressé aux Premier ministre et Chancelier britanniques). Là-bas aussi, les dérives autoritaires ne relèvent plus de la fiction (London, We Have You Surrounded, petit sommet d'angoisse martiale). Là-bas aussi, la nature est une quantité négligeable (Dumpster, qui s'ouvre sur des piaillements vite piétinés par un rythme tayloriste). Là-bas aussi, en somme, l'obscurcissement progressif de l'horizon est de plus en plus insupportable (My Head Is Slowly Exploding, titre si emblématique du son Perc Trax qu'il est en partie celui d'une double-compilation commémorative). Et c'est sans doute là le plus grand accomplissement de Perc, bien qu'il se défende de tout volontarisme : d'avoir rendu à un genre devenu un simple palliatif sa puissance contestataire.

Haste x Encore – Ten years of Perc Trax : Perc + Truss + Happa + AnD
Au Kao vendredi 28 novembre


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