Mac Demarco, complètement salade

Album de la maturité en tongs et vieille casquette, "Salad Days" est de ces chefs-d'œuvre tirés du sac qui vous déglinguent en faisant mine de regarder ailleurs. Aux manettes, Mac DeMarco, faux dilettante foufou et vrai songwriter mélancolique de (re)passage à Lyon. Stéphane Duchêne


En France, pays où la salade est pourtant une religion – on peut la commander en guise de plat au restaurant et l'oubli en cuisine de la frisée censée accompagner l'entrée, le plat, puis le fromage, peut vous flinguer un repas – l'expression «salad days» n'a pas d'équivalent. Peut-être parce que dans notre beau pays de pervers saladophile on ne rigole pas avec la scarole. L'expression, que l'on doit à Shakespeare dans Antoine et Cléopâtre, fait référence aux années d'insouciante jeunesse – «My salad days, when I was green in judgment, cold in blood» dit Cléo. Ces années où tout nous passe au-dessus, où l'on ne craint ni l'avenir, ni la mort, ni le recomptage des points retraites.

Depuis, elle est devenue un classique de la pop culture, de Sagan aux frères Coen, des Monty Python aux Young Marble Giants en passant même par la reine Elizabeth II dans son discours de jubilé. Pourtant, elle n'a probablement jamais été mieux à sa place que dans la bouche de Mac DeMarco. Et pas seulement parce qu'il a le genre de dentition dans lequel on coince aisément une feuille de laitue pour la journée.

Trompe l'œil

Il y a dans la musique laidback de Mac le Canuck quelque chose d'irrémédiablement accroché à ces Salad Days qui donnent son titre à son deuxième LP, comme chez Pavement ou Jonathan Richman, autres éternels adolescents au je-m'en-foutisme proverbial. Sauf que cette impression agit désormais en trompe-l'œil. DeMarco est comme tout le monde : il est nostalgique de ses "jours verts", il sent bien que malgré lui, il grandit. Si bien que sous ses airs de vendeur de beignets, derrière ses éclats de guitare reflétant le soleil, cet adepte du DIY trimballe ici une belle mélancolie, capable de chanter d'un titre à l'autre Let Her Go et Let My Baby Stay sans même se contredire. Ou d'étaler l'air de rien un pouvoir mélodique qui zieute discrètement la copie des Kinks, de Lennon ou d'Harry Nilsson, idoles assumées.

En fin de compte, il est beaucoup question de résignation et de laisser couler. Et même carrément de bienveillance. Ce qui ferait de Macky, comme il se surnomme dans ses chansons, une sorte de Lou Reed pour journée de la gentillesse, avec en prime ce rien de folie furieuse mais douce qu'on voit bien scintiller dans ses yeux roulants. La preuve avec ses concerts kermesses-karaokés-défouloirs à zozos : l'un d'entre eux lui a récemment valu, à Santa Barbara, Californie, de finir embarqué, comme au temps des Doors, par la maréchaussée locale, dans le panier à salade.

Mac DeMarco [+ Juan Wauter]
Jeudi 27 novembre à l'Epicerie Moderne


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