Contact, la dernière folie de Philippe Découflé

Avec "Contact", pièce pour seize fidèles, Philippe Découflé revisite façon comédie musicale le mythe faustien. Jubilatoire. Benjamin Mialot


«Enfant je rêvais de devenir dessinateur de BD» lit-on dans la note d'intention de Contact, tandis que Christophe Salengro et Clémence Gaillard trimbalent leurs attributs atomiques respectifs dans les travées (oreilles et nez pour l'escogriffe grolandais, seins et cuisses pour la non moins élancée danseuse). La confession, si elle en dit long sur les partis pris graphiques de Philippe Découflé – notamment sur la manière dont il joue avec la figure du cadre – est surtout révélatrice de son attachement à des pratiques artistiques qui, bien qu'elles aient atteint la majorité, voient régulièrement leur noblesse remise en question. La bande dessinée donc, mais aussi la comédie musicale, le cabaret, l'humour, la mode, le cirque, la magie ou encore la danse de société, autant d'univers que le chorégraphe francilien (re)manie depuis trois décennies et qu'il amalgame avec l'appétit et la témérité d'un Frankenstein pop dans cette nouvelle création.

Le diable au corps

Le premier contact avec le spectacle, justement, donne le tempo et le ton. D'un côté une meneuse de revue anglophone en fait des caisses, de l'autre Méphistophélès (Stéphane Chivot, sosie non officiel de Bryan “Breaking Bad” Carson) moque à coups de traductions foireuses le show à venir : ce soir, il y aura des paillettes et de la manigance, une fenêtre ouverte sur les coulisses d'un divertissement total et une porte donnant sur l'enfer intime de Jean-Claude Faust, prêt à toutes les extrémités pour connaître le bonheur.

Suivent quatre-vingt dix minutes de foisonnement et d'exubérance, sur fond de perspectives expressionnistes et de boucles électro-rock – déroulées par le violoncelliste Pierre le Bourgeois et la chimère Nosfell, dont le regard d'ocelot, les râles de grand singe et les déplacements reptiliens ont fait péter notre compteur de charisme. Découflé multiplie les emprunts à son propre répertoire (ombres chinoises de Sombrero, bizarreries théoriques d'Octopus, effets miroirs d'Iris...) et les clins d'œil au grand écran (le Rocky Horror Picture Show, Le Fantôme de l'opéra, West Side Story...), ménage absurdité premier degré (voir ce tour qui consiste à faire disparaître un majeur tendu) et grâce à l'état pur (le temps des numéros de tissu aérien), incite ses interprètes à libertiner de caméras en micros et instruments...

Au point que la danse, elle aussi plus qu'hybride (déhanchés jacksoniens, contrastes à la Pina Bausch, jeu de jambes façon Broadway, rictus british, cartons découpés made in Hofesh Shechter...), passe presque à l'arrière-plan. Un comble désamorcé par une constante auto-dérision («C'est chargé» soupire Salengro) et quantité de trouvailles optiques (tel ce générique d'ouverture, très Quatrième dimension), scénographiques (voir le mobilier humain ci-dessus) et vestimentaires (tout est sensuel et freak comme du Jean-Paul Gautier). Généreux, décomplexé et plus philosophe qu'il n'en a l'air, Contact est d'une certaine façon tout ce qu'aurait du être le cheap et ridicule Zoopsie Comedi de Dominique Boivin et Christian Lacroix. Ou tout ce que pourrait être une version longue de Find the fish, l'interlude du Sens de la vie des Monty Python.

Contact
A la Maison de la danse jusqu'au samedi 29 novembre


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