L'Imprimerie se met à la page

Le Musée de l'Imprimerie fête son demi-siècle en remettant au goût du jour non seulement sa muséographie, mais aussi son objet d'étude. De la belle ouvrage. Benjamin Mialot


Au milieu du XVe siècle, quand Johannes Gutenberg met au point les outils permettant la reproduction et, conséquemment, la diffusion de textes à grande échelle (caractères mobiles, presse à bras et encre d'impression), les élites de l'époque ne manquent pas de faire valoir leur crainte à l'idée que cette invention fasse aussi le lit de la sédition et de la bêtise – par précaution, quelques imprimeurs subiront le funeste sort d'ordinaire réservé aux sorciers. Cinq siècles et une seconde révolution du livre plus tard, numérique celle-ci, la situation est pire que prévue, les intégrismes et les approximations proliférant comme le chiendent dans un champ de patates non traité au sarrasin.

Comment en est-on arrivé là ? C'est désormais tout l'enjeu du Musée de l'Imprimerie de l'expliquer, fort d'une nouvelle particule ("et de la Communication"), de collections rajeunies et d'une muséographie rénovée. Auparavant en effet, le XXe siècle était le grand absent de cette institution fondée en 1964 par l'imprimeur Maurice Audin – et dirigée depuis 2002 par l'historien d'origine écossaise Alan Marshall. Il en est aujourd'hui le pivot, concluant sur une note d'euphorie (essor de la photographie, avènement du graphisme) mêlée de désillusion (la propagande en temps de guerre, le déclin de la presse, snif) une épopée de cinq siècles d'innovation et de codification.

La vie commence à 50 ans

Hormis ce raccrochage temporel, également au cœur d'une expo temporaire (voir ci-dessous), les nouveautés sont bien entendu cosmétiques. Signalétique rouge et anthracite, vitrines dignes d'un film de casse et textes soigneusement mis en forme – à une ou deux coquilles réglementaires près : au cœur de l'Hôtel de la couronne, à deux pas du quartier où l'imprimerie lyonnaise connut son heure de gloire – la ville était un important centre de production à la fin du XVe siècle – c'est un beau dédale lambrissé qui attend le visiteur s'imaginant entrer dans le Saint des saints de la vétusté et de l'exposé technique relou.

Pour le reste, le musée n'a rien perdu des qualités qui faisaient justement de lui un puits de connaissance d'une profondeur mal appréciée : le souci de contextualisation, aussi bien historique (des guerres de religion à la révolution industrielle) que géographique (de l'Europe à l'Asie) ; l'exhaustivité des techniques et supports (d'images pieuses obtenues par gravure sur bois à la bande dessinée) ; et le flair pour les objets d'exception, des plus monumentaux (telle cette presse lithographique surnommée "bête à cornes") aux plus anodins (étonnants papertoys aux couleurs de la Blédine Jacquemaire). C'est là tout le secret d'un lifting réussi : insuffler de la fraîcheur sans nuire à l'équilibre. Parole de cinéphile encore sous le choc de l'apparition de Faye Dunaway à Lumière 2014.

 

Les changements, c'est maintenant

Comme nombre de lieux de conservation, le Musée de l'Imprimerie et de la Communication doit une bonne partie de la richesse de ses fonds aux dons de généreux mécènes. Son cinquantième anniversaire est l'occasion de les remercier, le temps d'une exposition temporaire d'une hétérogénéité à faire passer un cabinet de curiosités pour un dépôt-vente. Ou l'inventaire de Prévert pour une bête liste de courses. Car si elle revient comme son titre l'indique (VOIR ! 50 ans de changement) sur l'évolution des techniques – et des mentalités, consommation de masse oblige – au cours de l'histoire récente, elle le fait au rythme d'un alphabet pour le moins atypique – et dont chaque lettre est représentée par leur équivalent dans la police de caractères Odyssée, tout à fait stupéfiante de modernité.

On trouvera ainsi à la lettre "f" comme faux des billets contrefaits, à la lettre "j" comme jouets des mini-rotatives en plastique et à la lettre "v" comme vœux des cartes postales calligraphiées. Mais aussi un drôle de portrait sur soie du tsar Nicolas II, de superbes lettrines figurant des monuments romans de l'ancienne province du Lyonnais, une typothèque sur disquette, le plus petit livre du monde (qui renferme le Notre père en sept langues !) ou encore une affiche de Nuits Sonores par le studio Superscript. Autant d'objets qui encapsulent aussi des histoires personnelles – dont on ne saura malheureusement pas grand chose – et témoignent de la vitalité retrouvée du musée.

VOIR ! 50 ans de changement
Au Musée de l'Imprimerie et de la Communication jusqu'au 4 mars


<< article précédent
Jean-Christophe Bailly, vers l'infini et au-delà