Ève, lève-toi

Dans un spectacle sous forme de lecture de textes écrits par des femmes, Éric Massé donne corps et vie à la pensée féministe, présentée dans toute son actualité. Romain Vallet


Reconnaissons qu'avant de le voir, on n'y croyait pas trop, à ce spectacle. Un homme, seul sur scène, pour incarner des textes féministes et parler à la place des femmes pour mettre en évidence leur oppression : n'y avait-il pas, dans ce projet même, une formidable contradiction ? Très vite, pourtant, Éric Massé balaie nos réticences initiales. Deux ou trois artifices tout simples (un peu de rouge à lèvres, des talons hauts) qui ne visent ni le mimétisme, ni la caricature, lui suffisent à devenir Juliette et ainsi à illustrer la performativité du genre : car si le sexe est biologique, le genre, lui, est culturel et fait l'objet d'une constante représentation sociale ; dès lors, quoi de mieux qu'une scène pour le donner à voir ? Du reste, si c'est bien un homme qui interprète le personnage de Juliette, ce ne sont pas ses mots à lui qu'on entendra pendant près d'une heure, mais uniquement des mots écrits par des femmes. Et pas des moindres : romancières, poétesses, réalisatrice, essayistes, ministre, toutes ont en commun d'avoir analysé la condition féminine et tenté, par leurs textes et leurs discours, de l'améliorer.

Luttes d'hier et d'aujourd'hui

Cachée derrière des paravents, jouant avec des têtes de sanglier ou de biche empaillées, Juliette insuffle vie aux mots d'Olympe de Gouges, Simone Veil, Anaïs Nin, Andrée Chedid, Virginia Woolf... Un inventaire qui n'a rien d'une visite au musée du féminisme : loin de se contenter de rendre hommage aux "grandes anciennes", Juliette vivifie leur héritage en traçant des parallèles avec les luttes d'aujourd'hui, qu'elles concernent les droits des femmes ou ceux des homosexuel-le-s. En insérant dans le spectacle des photos des manifestations (pro et anti) suscitées par le «mariage pour tous», Éric Massé élargit la focale, dévoile un autre pan de l'ordre hétéro-sexiste et montre que la répartition inégalitaire des rôles sociaux découle de l'idée d'une complémentarité entre les sexes.

Si on peut regretter que la mise en scène, parfois, s'efface derrière les propos (certains connus et presque attendus, d'autres beaucoup moins), ceux-ci frappent le spectateur par leur puissance intacte malgré l'évolution rapide du droit et des mœurs ces dernières décennies. À travers cette sélection judicieuse, Éric Massé rappelle que la domination des hommes sur les femmes est toujours une force structurante de nos sociétés et rend hommage à toutes celles qui, depuis l'australopithèque Lucy, ont adopté la position verticale – debout pour leur dignité.

Femme verticale
Au Théâtre de la Renaissance du mardi 9 au vendredi 12 décembre

 


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