Dolce D'Introna

À l'heure où il quitte la direction du TNG après dix années marquées par des spectacles qui ont fait date ("Yaël Tautavel" en tête, programmé en ce moment), Nino D'Introna revient sur sa carrière italienne, nord-américaine puis lyonnaise. Où il est question de jeune public et, bien sûr, d'intergénération. Nadja Pobel


Le 31 décembre, Nino D'Introna fermera le Théâtre Nouvelle Génération qu'il avait baptisé ainsi en 2004, lorsqu'il avait succédé à Maurice Yendt et Michel Dieuaide, partis avec le nom Théâtre des Jeunes Années – l'appellation de leur compagnie et de feue la biennale. Alors âgé de 50 ans, D'Introna posait enfin ses bagages après avoir beaucoup bourlingué. Avec déjà cette idée en tête que le ministère de la Culture aujourd'hui martèle : le théâtre destiné au jeune public ne doit pas s'adresser qu'au jeune public, il doit être «intergénérationnel», vocable dont D'Introna a fait son fil rouge.

S'adresser à tous, c'est ce qu'il fait dès ses débuts, presque par hasard quand, au lycée, il découvre le théâtre «et tombe amoureux à une vitesse folle de cet objet. Là où il y avait le mot théâtre, j'y étais». Sa spécialité ? Le mime. Attiré par le non-verbal, il monte de petites formes et intègre ce qui est en train de devenir une coopérative, le Teatro dell'angolo de Turin. Il a vingt ans. La question du jeune public ne se pose pas vraiment, «on jouait le matin comme le soir ; la compagnie travaillait beaucoup la commedia dell'arte et l'impro». Avec con complice Giacomo Ravicchio, il crée en tant qu'auteur, metteur en scène et acteur des spectacles qui vont tourner des années durant dans le monde entier (y compris à Lyon, qu'il découvre alors) : Pigiami, Robinson et Crusoe et Terres promises.

Après ce tsunami des années 80, il souhaite avancer de façon plus individuelle. La proposition de Dominique Catton, directeur de l'Am Stram Gram de Genève, un théâtre jeunesse réputé, tombe à pic. Elle aboutira à Papa ange qui connaîtra trois versions. D'autres rencontres construisent son parcours, comme celle avec Michel Belletante, qui reconnaît en lui son Orgon. Pour la première fois, dans Tartuffe, D'Introna est simplement comédien, dans une pièce de surcroit traditionnellement pour les grands. Il sera ensuite Sganarelle dans le Don Juan de Brecht.

Jouer

«Le fait de jongler est essentiel confie-t-il, insistant sur le qualificatif "ludique". Ce que je fais pour les jeunes est aussi nourrissant pour les adultes. Les enfants sont contents de voir quelqu'un qui joue. En français et en anglais c'est d'ailleurs le même mot pour jouer au théâtre et jouer avec un jouet. Pas en italien». C'est avec cet esprit malicieux qu'il se laisse happer par l'Amérique, où il a déjà emmené ses spectacles. En 2003, c'est rien moins que le Cirque du Soleil qui l'appelle aux côtés de Robert Lepage pour insuffler du mouvement à , un show qui joue sans discontinuer à Las Vegas. Il plonge alors avec gourmandise dans cette aventure de la démesure : budget de 250 M$, huit plateaux. «On ne voit ça qu'au cinéma» dit-il ; James Cameron himself vient d'ailleurs d'en tirer un film. Variant les plaisirs, D'Introna se fait aussi conseiller artistique du couple de patineurs sur glace Isabelle Delobel et Olivier Schoenfelder, champions du monde 2008, le duo ayant ses quartiers à Lyon, patinoire de Perrache.

Juste

Il faut dire que depuis 2004, Nino est devenu lyonnais. Pourtant, plongé dans ce pharaonique projet au cœur du Nevada quand des amis lui conseillèrent de postuler au TJA, il ne savait même pas ce qu'était un Centre Dramatique National. Mais il emporte le morceau et y crée (ou recrée) en dix ans onze spectacles dont L'Arbre, Yaël Tautavel (début de son amitié avec l'auteur Stéphane Jaubertie, avec lequel il collabore ensuite pour Jojo au bord du monde et Everest), Du pain plein les poches ou bien Terres !, magnifique variation sur l'idée de possession et l'inévitable aliénation qui en découle. L'an dernier, avec le très graphique et personnel Quand on parle du loup, il dit avec justesse avoir synthétisé ses précédents spectacles, non sans montrer sa fidélité aux acteurs qu'il avait déjà mis en scène par le passé. Nino D'Introna a également fait le résumé de ses vies passées avec le festival Ré-génération, en invitant des compagnies européennes et québécoises à montrer de quoi elles étaient capables. La neuvième et dernière édition se tiendra en janvier et se clora par le spectacle d'un autre fidèle, figure de Yael et d'Everest, Cédric Marchal.

Ces dix années au TNG, c'est aussi une programmation souvent audacieuse, signée de son éternelle acolyte Annick Bajard, qui aura notamment permis au public lyonnais de découvrir dès 2005 Joël Pommerat. Pour toutes ces pièces, il a fallu à chaque fois mentionner un âge plancher «car il ne faut pas faire mal au spectateur». Nul besoin en revanche d'âge plafond. Mais si l'intergénérationnel a tant été au cœur de ses mandats, c'est aussi que le théâtre a un train de retard : «le cinéma a compris que la société était devenue intergénérationnelle bien avant nous avec E.T. ou Harry Potter qui ont réuni les adultes et les enfants». Voir Philippe Faure ému à la sortie de Yaël Tautavel au point d'estimer que la pièce ne dépareillerait pas dans son théâtre "de grands" de la Croix-Rousse a ainsi été pour lui une récompense. Mieux, une reconnaissance.

Car loin de vouloir éduquer les foules et jouer au pédago, d'Introna réaffirme surtout que «le théâtre est avant tout un acte de liberté», qu'il poursuivra dès janvier avec sa compagnie, entre Lyon et Turin. La création de Parachute (titre provisoire), déjà écrit par ses soins, est prévue pour avril 2016, en langue italienne dans un premier temps. Seule certitude : «ce sera totalement intergénérationnel !».

Yael Tautavel
Au TNG jusqu'au dimanche 21 décembre


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