Pethrol : l'hydre carbure

Ni duo, ni trio, ni collectif mais presque un peu tout ça à la fois, Pethrol met sur et en scène une chanteuse-claviériste et un batteur-machiniste dont l'univers cosmique tend à s'étendre sur le monde. Au point que pour cette drôle de créature électro-pop aux accents mythologiques, on ne parlera bientôt plus d'émergence, mais d'expansion. Stéphane Duchêne


Figure mythologique universelle, l'Ouroboros représente littéralement «le serpent qui se mord la queue». Sa déclinaison dans la mythologie nordique, Jörmungand, encercle ainsi le monde pour maintenir les océans en place. Il est symboliquement le début et la fin de toute chose. On ne sera que très peu étonné que Pethrol ait choisi, sur un de ses EPs, d'évoquer cette figure. Le groupe, qui définit sa musique comme de la cosmo-pop – «cosmopolite et cosmique» – semble en effet fonctionner par cycles, se nourrir de mues successives comme il se nourrit de lui-même.

Ainsi Goldmund, troisième EP paru le 19 novembre dernier, clôt-il une trilogie par laquelle, comme dans les sagas, le groupe est né et s'est métamorphosé pour atteindre sa forme actuelle. «Au tout début, il y avait la volonté de créer une trilogie dont on serait sorti en 2015, confirme la chanteuse Héloïse Derly. En même temps, les trois univers de Black Gold, Golden Mean et Goldmund constituent vraiment trois portes qui s'ouvrent dans le sens d'une évolution. Il était important pour nous de trouver notre son de cette manière. Je ne dis pas qu'on l'a forcément trouvé avec Goldmund, mais on s'approche de ce vers quoi on veut aller, à la fois sur disque et sur scène, qu'on envisage comme deux lieux d'expérimentations». Comme s'il s'agissait pour eux de dénicher une pépite d'or dans une nappe de Pethrol.

Une symbolique sans cesse à l'oeuvre au sein du groupe où Héloïse – dont la voix passe en un rien de temps de l'évanescence à l'incarnation triviale façon Catpower – et son casque d'or semblent émerger en permanence d'une nappe de pétrole brut, matière musicale constituée de couches de claviers et de beats à la fois subtils et dévastateurs – œuvre du batteur Cédric Sanjuan, qui rappelle ainsi qu'un artilleur a beau être de précision, il n'en fait pas moins généralement de gros dégâts.

Trialectique

La dualité Héloïse/Cédric rappellant dans sa complémentarité un autre serpent mythologique, à deux têtes celui-là, l'amphisbène ; "l'or noir" ; la lutte permanente entre les ténèbres et la lumière ; l'opposition entre esprit et matière, entre animalité et spiritualité, qu'elle soit évoquée dans les textes du groupe – Goldmund est inspirée du Narcisse & Goldmund d'Herman Hesse – ou appréhendée plus directement et sensitivement via la musique ; bref, d'une manière générale la notion de dialectique est le carburant, le moteur à deux temps qui fait avancer Pethrol. Sauf qu'il pourrait s'agir d'une trialectique, telle qu'elle a pu être conceptualisée par Edgar Morin et quelques autres de la manière suivante : «le jeu interactif entre au moins trois composants par lequel se manifeste la complexité».

Car il y a là une troisième entité :  Guillaume Héritier. On parlait du Jörmungand, qui apparaît notamment dans les sagas nordiques de Ragnar Lodbrok – popularisé par la série Vikings – il est un peu le sosie de ce chef légendaire, qui mène la drakkar Pethrol sur les vastes étendues de l'émergence. A la fois parolier, manager, auteur frénétique doublé d'un pianoteur compulsif d'écran tactile, relais avec les médias et les professionnels – avec l'aide du quatrième larron, Grégoire Potin, co-manager. Mais c'est en réalité un véritable clan qui contribue à la marche de Pethrol, dans laquelle les rôles de chacun sont définis et la parole égalitaire – du moins jusqu'à un certain point, ajouterait dans un clin d'oeil Ragnar/Guillaume. Une sorte de duo à trois, quatre, cinq, six. Une Hydre de Lyon... dont seuls deux membres monteraient sur scène.

Conquête

Artistiquement déjà très au point, tant sur le plan musical que sur celui de l'image – Héloïse, par ailleurs graphiste sortie des Beaux-Arts, travaille également à l'identité visuelle du projet – Pethrol a ainsi développé une véritable stratégie de conquête. Et ce n'est pas un gros mot, car ici, tout est intimement lié à l'artistique et se fait dans les conditions d'une indépendance et donc d'une liberté totale, le groupe émargeant sur son propre label, Beyeah ! (après un petit détour par Jarring Effets pour Golden Mean). En fait, comme chez les vikings, seul demeure la question, pas si essentielle, du point de chute : pourvu qu'on avance et qu'on voit du pays.

Pour l'heure, en à peine deux ans, les Lyonnais ont connu quelques belles résidences dont une décisive au Marché Gare, eu les honneurs des Inouïs du Printemps de Bourges ou de Nuits Sonores. Et au-delà du périphérique lyonnais connu les joies du MaMA Festival ou d'une tournée en Allemagne dont ils parlent avec émotion comme des meilleures vacances de leur vie. Tout ceci à peine digéré – «notre dernier EP vient de sortir mais Héloïse et Cédric n'y pensent déjà plus. Ils ont la tête au suivant» se réjouit Guillaume Héritier. Car Pethrol travaille déjà à la suite avec méthode, un LP puis un album qui devraient les voir prendre une autre direction, même s'ils refusent de dire laquelle. «Entre le premier et le troisième EP, on sent que les choses sont en train de s'affirmer et de s'affiner, du coup si on écoute Goldmund, on peut avoir une petite idée de ce que va être la suite» lâche tout de même Héloise, à la manière de l'Ouroboros sachant toujours ce qu'il va manger dans l'éternité suivante. Et pour cause.

Goldmund (Beyeah!)


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