Musée des confluences : la tête dans le Nuage

Quatorze ans après avoir été esquissé par le Conseil général du Rhône et une semaine avant qu'il ne passe sous le contrôle de la Métropole naissante, le Musée des confluences ouvre enfin. Miracle : la pertinence de son propos et la qualité de ses collections étouffent les légitimes polémiques qui ont accompagné son édification. Nadja Pobel


Raconter l'homme. L'ambition du Musée des confluences est conséquente et, après avoir entendu bien des discours et lu quantité de notes d'intention, une chose est certaine : le pari est réussi, tant la balade dans ses salles est non seulement instructive, mais aussi et surtout émouvante.

Ce geste qui se déploie pour dire d'où nous venons, comment nous interagissons avec les éléments, comment nous mourrons, n'avait pourtant rien d'évident quand, en 1996, Michel Mercier, président du Conseil Général du Rhône, demanda à Jean-Jacques Pignard, en charge de la culture, de mener à bien une réflexion sur le devenir du musée Guimet. Dans le même temps, le maire de Lyon, Raymond Barre, lançait un comité de pilotage sur la création d'un musée des sciences, des techniques et des sociétés. Les scientifiques mobilisés étant bien souvent présents dans l'un et l'autre des cercles, il fut décidé de ne construire qu'une seule institution mêlant tous ces champs de connaissances. «Nous n'avons pas fait un musée pour le mammouth de Choulans ou la girafe Sophie précise ainsi Jean-Jacques Pignard, mais un musée sur l'homme et les mystères de l'homme. C'est presque un musée philosophique qui offre non pas la, mais les réponses que donne la science. Et qui soulève aussi les questions sans réponse».

Emile Guimet souhaitait, en inaugurant son deuxième musée à Paris, en faire «une usine de sciences philosophiques dont les collections ne seraient que la matière première». Cette approche novatrice, à la confluence des savoirs et des disciplines, se traduit ici dans les quatre salles de l'exposition permanente confiées, fait rare, à des agences de scénographes différentes. Loin de créer de la disharmonie entre ces boîtes noires, cette idée se traduit par une très grande lisibilité de leurs axes, tous ne nécessitant pas le même type de déambulation. Il s'agit véritablement dans chaque cas, comme promis et annoncé, de remonter le fil d'un récit plus que de donner des explications – quand bien même elles sont le fruit d'un vrai conseil de sages. Et c'est en cela que le visiteur est pris d'un certain frisson.

4 temps, des mouvements

La salle des origines expose pour commencer le système solaire. Par un mur de gouttelettes d'eau signifiant le surgissement du vivant, viennent ensuite d'imposants squelettes de dinosaures, dont les ombres se découpent telles des peintures rupestres : ceux du camarasaurus et du mosasaure, tous deux récemment acquis par le musée. Ils témoignent de l'évolution de la vie animale, apparue il y a 550 millions d'années, comme le montrent des fossiles prisonniers d'un grand schiste de Burgess. Au fil du parcours sont évoqués le développement des ailes, celui des canines et enfin celui du pouce opposable chez le lémurien maki-kata, celui-là même qui nous permet de tenir et d'attraper. Par ces éléments qui paraîtraient presque anodins, le musée illustre des étapes essentielles de la marche du monde. Ainsi également de ces œufs de la taille de ballons, dont l'apparition a permis aux dinosaures de se libérer de la ponte dans l'eau et de conquérir un nouveau territoire en progressant dans les terres.

Soucieux comme le très précieux planétarium de Vaulx-en-Velin de ne pas se focaliser sur une approche qui ne serait que scientifique, le Musée des confluences mêle à ces jalons des conceptions cosmogoniques, notamment inuits avec un superbe fœtus en pierre lové dans une sorte de nid prenant l'identité de plusieurs animaux. Ce va-et-vient est une antienne : croire en l'implacable comme à l'irrationnel, c'est ne pas oublier que l'homme se nourrit de ses contradictions.

Croisements

Car s'il est au centre de l'objet du musée, l'homme n'en est pas pour autant le héros absolu. Dans la salle consacrée à la maille du vivant, il apparait même sous son plus mauvais jour dans la vitrine des animaux disparus (ou en voie de disparition, sources d'un vertige encore plus grand) où, victimes de la pression démographique et de la surexploitation des ressources naturelles, le dodo (ici en squelette) et le loup de Tasmanie ne sont plus que des souvenirs.

Plus loin, la partie "société" est elle sous-titrée avec finesse "théâtre des hommes". Il y a bien en effet une part de jeu, parfois dangereux, dans la façon dont nous créons, organisons et donc détruisons, y compris via la guerre – belle armure en laque d'argent du Japon du XVIIe siècle – notre environnement. Que vient faire une vitrine de minéraux tous plus scintillants les uns que les autres à côté de produits électroménagers – dont une étrange machine à "imprimer" des crêpes de 1970 ? Le concassement des premiers a permis de fabriquer les seconds, ces nouveaux outils. La transformation de matière première sert toutefois autant la création de besoins que celle d'oeuvres, double signification dont la juxtaposition d'une machine à textile à une robe de mariée sortie des usines Brochier est une bonne illustration : pour que des industriels puissent élaborer des techniques aux desseins plus artistiques, il a d'abord fallu fabriquer du tissu et inventer le tissage Jacquard. De fait, c'est aussi la question de la transmission des savoirs et de l'apprentissage qui est au coeur des collections.

Même dans l'expérience de la mort, que relate la dernière pièce, plus petite mais elle aussi raccord avec la vocation transversale du musée – une œuvre récente d'Aubanel y côtoie des objets très anciens comme des statuettes protectrices du Congo et un sarcophage de Haute-Egypte – est évoquée la manière dont se situe l'espèce humaine par rapport à ses congénères et à ses croyances à travers de magnifiques mises en espace, en particulier celle d'une sépulture se reflétant dans un miroir.

Méfiez-vous des apparences

C'est là l'autre grande qualité du Musée des confluences : il n'est pas qu'une somme de connaissances fondamentales, ses scénographes ayant aussi su relever le défi du beau, et ce en toute humilité. C'est particulièrement le cas dans la salle consacrée à la diversité du vivant, signée du cabinet Zen + dCo et tissée de 35 km de cordes qui rappellent les rainures des toiles de Soulages et sont autant de liens entre les vitrines. Le sphinx égyptien, les mammifères empaillés, la collection de mollusques, le panneau de papillons colorés qui semblent prendre leur envol loin des cadres stricts d'antan, la galerie des oiseaux (dont on peut entendre le cri via une installation numérique) ou cette série d'antilopes qui permet de comprendre la classification du vivant et comment la nature évolue en s'adaptant aux conditions extérieures : tout y est stupéfiant d'harmonie et d'accessibilité.

À de nombreux endroits, de petites vidéos ludiques et graphiques résument ainsi les grandes notions présentées en s'adressant par un même canal aux petits comme aux grands. La possibilité de toucher certaines pièces (en tête un morceau de pierre lunaire) est une autre vertu de ce lieu où le souci d'être à hauteur des visiteurs est constant. La manière dont y est présenté le cheminement du savoir le résume : à l'instar du CHRD qui débute son parcours par un bureau d'historien (celui de Marc Bloch), Confluences rappelle que la connaissance transite par le travail du chercheur, ici personnifié par un ancien bureau de radiologie et de multiples outils d'observation, véritables pièces d'orfèvre.

Une fois l'histoire terminée, ne reste plus qu'à quitter le "nuage" et ses couloirs larges comme des routes et sa rampe d'accès qui, un peu comme celle de la coupole du Reichstag, épouse les contours du "cristal", le monumental hall d'accueil. Et à s'émerveiller encore, le contenant étant, de l'intérieur,  aussi impressionnant que le contenu.  


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