Loin des hommes

Adapté d'Albert Camus, le deuxième film de David Oelhoffen plonge un Viggo Mortensen francophone dans les premiers feux de la guerre d'Algérie, pour une œuvre classique et humaniste dans le meilleur sens du terme. Christophe Chabert


Il serait regrettable de faire à David Oelhoffen, dont on avait déjà apprécié le premier film, le polar Nos retrouvailles, un faux procès déjà à l'origine du rejet de The Search : voilà un réalisateur qui ose transporter le cinéma français ailleurs, via le genre ou grâce à un voyage plus littéral hors de nos frontières. Quoique, à l'époque où se déroule Loin des hommes (1954), l'Algérie est encore un territoire français, et c'est justement sur les premières fissures de la guerre d'indépendance que se bâtit le récit. Mais, là aussi, tout est affaire de dépaysement : l'instituteur Daru est une forme d'apatride, enseignant le français à des enfants algériens, mais dont les origines sont à chercher du côté de la Catalogne.

Grande idée de David Oelhoffen : confier le rôle à Viggo Mortensen, lui-même sorte "d'acteur du monde" comme on le dit de certains citoyens, qui l'interprète avec son charisme habituel en mélangeant le français et l'arabe. Face à lui, le personnage du paysan qu'il doit escorter à travers les montagnes de l'Atlas échoit à Reda Kateb, comédien qui a aussi affirmé ses dernières années sa volonté de ne pas être assigné à un territoire national esthétiquement trop normé.

Ce que le film raconte, c'est justement le fossé qui va peu à peu se résorber entre le Français et l'Algérien. Au départ, ce sont deux indésirables, l'instituteur parce que les révolutionnaires ne veulent plus de lui, le paysan parce qu'il est accusé d'avoir tué son propre cousin, et doit donc être conduit vers la ville pour y être exécuté. Tout au long de leur périple, cependant, les lignes vont s'avérer encore plus mouvantes, notamment quand ils se retrouveront otages d'un groupe d'indépendantistes, ou l'on ne sait plus qui protège l'autre, et pourquoi.

Proche de l'humain

On l'a dit, Oelhoffen travaille ce matériau, inspiré d'un roman d'Albert Camus, avec un sens du spectacle populaire qui n'a plus tellement court par ici. Solidement raconté, superbement photographié par Guillaume Deffontaines et porté par une très belle musique de Nick Cave et Warren Ellis, ce western algérien refuse l'auteurisme mondialisé que son sujet pouvait entraîner au profit d'une approche où la complexité des personnages est traitée avec le même soin que l'intensité des séquences d'action. Mais ce classicisme-là est surtout une manière de ne jamais brouiller le propos humaniste du film, où l'empathie et le respect de l'autre passent par-delà les différences culturelles. Un trajet romanesque qui rejoint celui de sa fabrication, preuve d'un vrai projet de cinéma, abouti et cohérent.

Loin des hommes
De David Oelhoffen (Fr, 1h45) avec Viggo Mortensen, Reda Kateb…


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