Haut les masques

Chaque soir sur Canal +, Alex Lutz est Catherine, quadra maniérée et accroc à la presse people. Sur scène, il est une ado en crise, Karl Lagerfeld ou un directeur de casting odieux. Des personnages plus vrais que nature qui peuplent le one-man-show le plus épatant de la rentrée. Benjamin Mialot


Où se situe la frontière entre le traitement en réanimation et l'acharnement thérapeutique ? Au même endroit que celle qui délimite les états dans lesquels se trouvent actuellement "l'esprit Charlie" et "l'esprit Canal", les jours de dérision controversable du premier ne semblant plus en danger tandis que le second végète dans l'entre-soi grégaire depuis une bonne quinzaine d'années.

Deux hommes, toutefois, incarnent encore le fameux mélange de décalage et d'impertinence qui fit les grandes heures de la chaîne cryptée dans les années 80 et 90. Ou plutôt deux femmes : Catherine et Liliane, les deux secrétaires de rédaction qui, chaque soir au Petit journal, décortiquent l'actualité avec un bon sens involontaire mêlé d'idiotie pure. Derrière leurs maquillages absolutely fabulous se cachent Bruno Sanches, habitué des feuilletons policiers franchouillards, et Alex Lutz, qui n'a pas attendu le succès de sa vamp de l'open space pour mettre à profit ses prédispositions naturelles au transformisme et à l'observation d'énergumènes en milieu naturel.

Une bande à lui tout seul

Cela fait même plus de sept ans qu'il tourne, en parallèle de ses activités de metteur en scène (pour Palmade notamment), son premier one-man-show. Un spectacle à l'ancienne (quatrième mur droit dans ses fondations, discret substrat autobiographique) qui le voit incarner une galerie de personnages tous plus outrancièrement crédibles les uns que les autres, d'un régisseur dont la gentillesse n'a d'égale que l'imprudence («Tu feras attention, j'ai laissé ta bouteille d'eau, ouverte, juste à côté des câbles électriques» conseille-t-il entre deux quintes de rire) à une vendeuse de fringues à la nunucherie toute aussi problématique («Ah non je ne préfère pas que vous passiez le 42 au cas où, j'ai été correcte avec vous, je vous demande d'être correcte avec le produit»). Et ce sans autre artifices qu'une expressivité gestuelle et faciale d'une impressionnante précision – pas une surprise pour qui se souvient de son apparition dans le deuxième OSS 177 en fils de nazi.

Au-delà de la performance, chaque sketch interpelle dans ce qu'il dit, même sans méchanceté aucune, de la stupidité ambiante. Alex Lutz affirme toutefois faire ce qu'il fait uniquement pour la déconne. Pour le lulz, comme disent les petits malins du web. Déjà un acte politique en soi.

Alex Lutz
Au Radiant-Bellevue mercredi 14 janvier


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