Ruptures de ton


À 40 ans, toujours vieux garçon, Yaacobi se réveille, envoie valdinguer sa partie de dominos et ses tee-parties sur le balcon de son ami Leidental qu'il congédie sans ménagement car «cet homme est un bouchon, il empêche la vie de s'écouler». Yaacobi ne pense qu'à rattraper le temps perdu. Donc s'accrocher aux fesses de la première femme croisée au hasard, Laurence Besson, souvent vue sur les planches du TNP car elle appartient à sa troupe permanente, comme d'autres membres de cette jeune compagnie du Vieux Singe.

Le premier mérite de ce travail est de porter à la connaissance du public l'écriture de l'Israélien Hanokh Levin, décédé prématurément en 1999. Fin observateur de nos petites misères et grandes solitudes, l'auteur sait transformer une matière sociologique en objet caustique, drôle, tendre et cruel à la fois, n'épargnant pas les croyances des hommes (et c'est plus que salutaire en ces temps malades) ; s'adressant à Dieu, Yaacobi s'agace : «il est temps que tu me donnes quelque chose de tangible, de palpable, de réel». Sans jamais les engluer dans le réalisme, Levin teinte ses personnages d'une coloration lunaire faisant de Leidental un être sensible qui cherche à séduire la même femme que son ancien acolyte en lui demandant de... l'éosine aqueuse !

Ce duo masculin est parfait sur scène grâce aux comédiens David Bescond et Michaël Maïno. Le rôle de la femme, réceptacle des deux autres, a été poussé par la metteur en scène Ophélie Kern un peu trop vers l'hystérie et s'essouffle au cours des presque deux heures de spectacle, écrit en 30 tableaux et 12 chansons qu'interprètent un quartet lorgnant vers le cabaret. Si la qualité de leur prestation n'est pas en cause, leur récurrence alourdit parfois le propos de ce texte qui ne s'intitule pas par hasard Yaacobi et Leidental. Ce sont bien eux, avec leurs renoncements, leurs avancées et leurs trahisons qui sont la raison d'être de cette pièce épatante.

Nadja Pobel

Yaacobi et Leidental
Aux Clochards célestes jusqu'au vendredi 30 janvier


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