Simon Delétang, un créateur de son temps

Après un début de carrière rapide, Simon Delétang s'est pris les pieds dans le tapis revêche des Ateliers. Le voilà qui revient à ce qu'il sait le mieux faire, la mise en scène, avec "Un fils de notre temps". Portrait de ce trentenaire déjà vieux baroudeur du théâtre contemporain. Nadja Pobel


Tout commence par Jean Giraudoux. Non pas que ce dramaturge soit au panthéon de Simon Delétang, mais voilà, il est né sur les mêmes terres que l'écrivain, à Bellac (Limousin). Ses parents sont même impliqués dans la bonne tenue de la maison natale de l'auteur et dans le festival créé à sa mémoire. Le Centre Dramatique National de Limoges est pour Simon Delétang un lieu habituel qu'il fréquente très jeune et où d'ailleurs il s'ennuie souvent. C'est pourtant là, au théâtre, qu'il veut grandir.

Stage de 3e auprès d'un régisseur plateau («une révélation, dit-il, j'étais passionné par le travail avec les accessoires»), bac A3, licence à Paris 3 pour continuer à creuser l'histoire de la discipline puis l'ENSATT, où il rentre en 1999 à 21 ans : «Je n'en pouvais plus de la théorie, j'avais uniquement envie d'être sur le plateau, mais quelque chose me manquait» : la mise en scène, département qui n'existeait pas encore dans la prestigieuse école. S'il apprend à être comédien, c'est lui qui mène le projet de fin d'études de sa promo. Ce sera Roberto Zucco de Koltès, qui lui ouvre les portes de la vie professionnelle. «C'est le premier acte théâtral que j'ai vraiment osé, on m'en parle encore. Ça m'a permis de faire ma première création au Point du Jour, Woyzeck, d'être invité aux Ateliers par Gilles Chavassieux... C'était une sorte de carte de visite à Lyon.»

État de veille

Etranger à la notion de collectif, très en vogue et souvent à très bon escient (Chiens de Navarre, D'ores et déjà, La Meute...), Simon Delétang avoue sans ambages être un solitaire dans son travail, sans dramaturge, sans assistant. Toutes les pièces qu'il a montées évoquent d'ailleurs ce rapport de l'individu au groupe, comment l'homme croit trouver son salut dans la masse mais s'y noie, que ce soit chez Lars Noren (dans Froid, où trois nationalistes suédois fomentent des exactions, ou 20 novembre, récit du school shooting d'Emsdetten en Allemagne), chez Mark Ravenhill avec Shopping and fucking ou Éric Arlix et Jean-Charles Massera pour Le Guide du démocrate, critique d'une société de consommation qui sous couvert de promettre le bonheur renvoir chacun à sa solitude. Son travail sur Un fils de notre temps creuse ce même thème : un homme perdu s'engage dans l'armée "volontaire" pour tromper sa langueur mais y rencontre l'horreur. «J'ai eu cette expérience de la violence du groupe face à l'individu, que ce soit à l'école ou dans des clubs de sport, et j'ai de fait toujours été touché par les anti-héros» explique-t-il. «Ce qui m'intéresse est la faille, la fragilité, le destin brisé et en quoi cela peut transformer le regard sur le monde» poursuit-il.

Dans chacune de ses créations, Simon Delétang refuse le plateau nu, même quand il monte Manque de Sarah Kane, souvent donné avec quatre comédiens assis sur des chaises. «J'aime travailler avec la dimension plastique du décor, l'élégance des matériaux». Lui qui dit être obsédé par le fait que le spectateur ne s'ennuie pas a par ailleurs toujours réfuté le quatrième mur, même s'il admet maintenant être «moins volontariste ; je fais plus confiance à l'acteur et au récit». Autre idée fixe : que le spectacle dise quelque chose du monde. A cet égard, sans renier la longévité des Grecs ou de Shakespeare, c'est vers les auteurs contemporains qu'il s'est toujours tourné, notamment pour le caractère irreprésentable des viols ou meurtres qu'ils décrivent. «Mon plus grand choc de lecture fut Anéantis de Sarah Kane», sans nul doute l'ouvrage le plus percutant de la jeune Anglaise.

The show must go on

Cet attrait pour les textes du XXe siècle additionné à son envie d'aider d'autres metteurs en scène à se faire une place, l'a presque naturellement mené à diriger un lieu. Le Théâtre des Ateliers lui est confié en 2010, mais son fondateur Gilles Chavassieux ne lui laisse pas les coudées franches. Las, face à la passivité des tutelles publiques, il jette l'éponge deux ans plus tard. «Je ne regrette absolument pas d'être parti» affirme-t-il. Mais la blessure, profonde, sera longue à cicatriser. Après sa démission, il fait l'acteur pour Ludovic Largarde dans une trilogie Büchner, puis crée sa compagnie Kiss my kunst, avec laquel il retrouve aujourd'hui sa place de metteur en scène pour Un fils de notre temps, retour qu'il qualifie de «renaissance». La suite prendra la forme d'une création autour d'un artiste, comme il avait pu le faire en 2009 avec Heiner Müller le temps d'un spectacle galvanisant et interrogateur. En attendant, peut-être, de diriger une autre salle, lui, cet enfant de la décentralisation qui croit tant en la fonction des CDN.

 

Encadré - Un fils de notre temps

Dernier roman publié par Ödön von Horvath avant sa mort accidentelle à 37 ans en 1938, Un fils de notre temps, ici adapté pour trois acteurs, est dans la droite ligne de ce que fut le plus grand succès de l'Allemand, Casimir et Caroline, en cela qu'il évoque la confrontation de la jeunesse à la montée du fascisme. De cette véritable valse de personnages et de lieux, Simon Delétang en tire un travail impeccablement coordonné. Signifiant avec clarté (et beauté) l'ordre et le chaos par la disposition ou le retrait de bottes noires et jouant d'un mur à la fois opaque et lumineux, il crée une boîte de jeu grandeur nature pour son trio d'acteurs. Lequel, et notamment Thibault Vinçon, que l'on avait découvert en Lorenzaccio chez Claudia Stavisky en 2010,  porte haut ce texte désenchanté mais jamais naïf.

Aux Célestins jusqu'au samedi 31 janvier


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